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DE PHILOSOPHIE.

autres, et réunies à d’autres portions de matière ; l’âme au contraire ne pourrait être détruite sans être anéantie ; et pourquoi Dieu l’anéantirait-il, lorsqu’il n’anéantit pas le corps même, dont par sa nature elle est indépendante, et dont l’essence est beaucoup moins noble, et un ouvrage beaucoup moins digne du Créateur ? L’dme est donc immortelle. Or la foi nous apprend que dans les animaux tout périt avec eux. Il n’y a donc réellement dans les animaux aucun principe spirituel et distingué de la matière ; donc puisque la sensation, la pensée, et la volonté ne peuvent appartenir à la matière, les animaux n’ont qu’en apparence des pensées, des sensations, des volontés. Donc les animaux sont des machines.

Toutes ces conséquences tiennent, ce me semble, fortement les unes aux autres ; et il paraît difficile d’en attaquer aucune, sans que le coup porte de proche en proche au principe d’oii Descartes est parti, que la pensée ne peut appartenir à l’étendue. Il faut pourtant avouer que parmi ces conséquences il y en a plusieurs qui sont au moins douteuses, et quelques unes, comme celle du machinisme des bêtes, qui sont révoltantes. En conclurons-nous que le principe fondamental n’est pas vrai ? À Dieu ne plaise ; mais voici, ce me semble, la manière dont le sage doit raisonner. L’expérience semble d’un côté me porter à regarder mon âme et mon corps comme ne faisantqu’une substance ; ie raisonnement d’un autre côté me donne de fortes preuves de la différence de l’un et de l’autre ; la religion vient à l’appui de ces dernières ; c’est donc à elles seules qu’il faut m’en tenir.

Ceci ne contredit point ce que nous avons dit ailleurs, que la spiritualité de l’âme est une vérité qui est du ressort de la raison. Elle l’est en efl’et, puisque la raison en fournit les preuves ; mais la foi est nécessaire pour faire le complément de ces preuves, auxquelles même elle n’ajoute proprement rien, qu’en nous assurant que la force des preuves est réelle, et que celle des objections n’est qu’apparente, et en nous donnant ainsi le moyen de nous décider entre les unes et les autres.

En vain dirait-on que, suivant l’opinion de quelques savans hommes, très-attachés d’ailleurs à la religion, la spiritualité de l’âme n’est énoncée clairement en aucun endroit de l’Écriture, et par conséquent ne nous est point confirmée par la révélation. Mettant cette discussion à part, l’objection dont il s’agit est bonne tout au plus pour ceux qui bornent la révélation à l’Écriture, mais non pour ceux qui y joignent l’autorité de l’Église, destinée à suppléer à l’Écriture quand elle ne s’explique point, ou ne s’explique pas assez : or cette dernière autorité ne nous laisse aucun doute sur la spiritualité de notre âme.