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ÉLÉMENS

qu’elles appartiennent au sujet que nous traitons. Plus on examine les différens points de la métaphysique cartésienne, plus on voit que son illustre auteur a été le plus hardi sans doute, mais le plus conséquent peut-être de tous les philosophes dans ses idées, comme il l’a été dans ses maximes de conduite jusqu’aux six derniers mois de sa vie. Pour se convaincre de ce que nous avançons, qu’on considère la liaison intime de tous les points de sa métaphysique. La pensée ni le sentiment ne peuvent appartenir à l’étendue ; voilà d’où il part. Donc, conclut-il, le principe qui pense et qui sent en nous, est une substance absolument distinguée de l’étendue, et qui na ni ne peut avoir par lui-même rien de commun avec la matière. Donc l’union du corps et de l’âme ne peut consister dans aucune influence mutuelle que ces deux substances aient par elles-mêmes l’une sur l’autre, mais dans un décret de Dieu, par lequel il a ordonné qu’à l’occasion de tel mouvement ou de telle impression dans le corps, l’âme aurait telle pensée ou telle sensation ; et réciproquement qu’à l’occasion de telle disposition dans l’âme, telle impression serait produite dans le corps. De plus les sensations qui ne sont que dans l’âme supposent néanmoins une impression dans le corps qui les produit ; donc quoique les sensations ne puissent appartenir qu’à l’âme, elles ne lui appartiennent pas nécessairement, puisque l’existence de l’âme est indépendante de celle du corps, et qu’une âme qui ne serait point unie à un corps par une volonté particulière de Dieu, n’aurait point de sensations. Or il ne peut y avoir dans l’âme que sensation et pensée. Donc puisque la sensation n’est pas essentielle à l’âme, il s’ensuit que la pensée lui est essentielle. Donc, 1o. l’âme pense toujours, puisqu’elle ne peut exister sans ce qui lui est essentiel, 2o. L’âme n’est autre chose que la pensée, puisque, si on conçoit un être pensant, et qu’on fasse ensuite abstraction de la pensée, ce que l’on avait conçu se réduit à rien. Et qu’on ne dise pas que cet être non pensant et non sentant par la supposition, pourra encore avoir une volonté ; car toute volonté suppose une pensée. En un mot, la pensée est la seule chose dont on ne puisse supposer que l’âme soit privée, et avec la pensée seule elle peut être imaginée existante ; donc l’âme et la pensée sont la même chose ; donc la sensation, la volonté, et toutes les autres affections de l’âme ne sont point différentes de la pensée même, ou plutôt ne sont que la pensée modifiée différemment. De plus, puisque l’âme n’a par elle-même rien de commun avec le corps, donc elle peut subsister quand le corps est détruit. Donc elle doit subsister en effet ; car le corps même n est pas proprement détruit, ses parties sont seulement désunies les unes des