Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/241

Cette page n’a pas encore été corrigée
201
DE PHILOSOPHIE.

représentons, il serait téméraire (la religion même étant mise à part) d’affirmer que la pensée et le sentiment pussent lui appartenir. La seconde, c’est que le sage, persuadé de l’influence de nos organes sur le principe qui sent et qui pense en nous, doit veiller avec soin à la conservation et au ménagement de ces mêmes organes. Quand le physique est chez nous en bon état, tout va bien pour l’ordinaire : du moins est-il certain que si nos affections, nos sentimens, et surtout les événemens qui les produisent, ne dépendent pas de nous, le physique de notre machine en dépend beaucoup davantage ; et c’est sur ce physique que le sage peut et doit veiller, soit pour adoucir, soit pour prévenir l’eii’et des sentimens fâcheux. La région de l’estomac, comme on l’a déjà dit plus haut, est le siège sensible des affections vives et profondes ; et Parménide, qui, au rapport de Plutarque, mettait le siège de l’âme dans l’estomac, n’avait peut-être pas tort à certains égards. Au fond, cette question du siège de l’âme est une des chimères de la philosophie ancienne et moderne ; car puisque l’on convient que la faculté de sentir appartient à l’âme, et puisque cette faculté est mise en action par toutes les parties de notre corps, pourquoi vouloir placer l’âme dans une partie plutôt que dans une autre ? Elle est partout et nulle part. Mais revenons à cette région de l’estomac, siège de nos affections ; qu’en faut-il conclure ? Que c’est sur cette région qu’il faut veiller, que c’est ce viscère qu’il faut ménager, surtout dans les momens d’inquiétude, de tristesse et de passion violente ; il faut alors se traiter comme si on avait la fièvre, et s’abstenir de tout ce qui pourrait arrêter, troubler ou rendre plus pénibles les fonctions d’une partie si importante à l’état de notre âme. Cet aphorisme est, je crois, un des plus utiles de la médecine préservative.

Mais ne bornons pas là notre aphorisme, et concluons de l’influence réciproque du corps et de l’âme, que la devise du sage doit être en général, veille sur ton corps. C’était la maxime de Descartes, et il la mettait en pratique ; jamais de veilles, jamais d’excès d’aucune espèce, jamais en un mot de privation volontaire de ce qui pouvait améliorer son existence physique, ni d’usage immodéré de ce qui pouvait la lui rendre agréable. Il se démentit de cette maxime quand il sacrifia à Christine sa liberté ; il dérangea sa manière de vivre ; et n’ayant jamais été malade dans les marais de la Hollande, il mourut à cinquante ans dans un palais.

Ce que nous venons de dire de la philosophie pratique de Descnrtes, nous donnera occasion de faire quelques réflexions sur sa philosophie spéculative ; réiiexions d’autant moins déplacées,