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DE PHILOSOPHIE.

philosophes en donnent. La substance, disent les uns, est ce qui existe par soi-même. On croirait qu’ils veulent parlçr de Dieu ; car il n’y a que Dieu qui puisse exister par soi-même. La substance, disent les autres, est ce qui existe en soi-même ; cela n’est-il pas bien clair ? Qu’est-ce qu’exister en soi ? On sent bien que par cette façon de parler on veut distinguer la substance, qui existe indépendamment de la modification, d’avec la modification, qui ne peut exister sans la substance ; mais l’idée qui reste de la substance en est-elle plus nette ? Faites abstraction de toutes les modifications l’une après l’autre, imaginez que ce que vous appelez substance ou sujet de ces modifications, en soit dépouillé successivement ; il ne vous restera plus l’idée de rien, et la substance ne sera plus qu*un mot que vous prononcerez. Pour le faire sentir par un exemple, demandons aux philosophes ce que c’est que la matière. Ils nous diront que c’est une substance étendue et impénétrable. Ôtez l’impénétrabilité, qui est la modification distinctive par laquelle l’étendue simple est rendue matière, il nous restera l’étendue. Ôtez encore l’étendue, qui suivant la plupart au moins des philosophes modernes ne constitue point l’essence de la matière, il ne reste plus aucun objet, aucune idée dans l’esprit ; et quand il resterait l’étendue, c’est-à-dire une portion de l’espace, il faudrait encore savoir si cette portion de l’espace et l’espace même sont quelque chose de réel[1]. Qu’est-ce donc que la substance de la matière ?

§ VIII. Éclaircissement sur ce qui est dit de la distinction de l’âme et du corps, page 186.

Plus on creuse la question de la distinction du corps et de l’àme, plus elle offre de matière à la méditation du philosophe. Convenons d’abord qu’il n’y a en effet aucun rapport apparent entre l’étendue et la pensée. Un bloc de marbre ne paraît ni doué ni susceptible de sensation, d’idée, de volonté : entre la matière qui forme ce bloc de marbre, et celle qui forme le corps humain, il n’y a ou il ne paraît y avoir que des différences purement matérielles, quant à la figure, à la couleur, à la mollesse ou à la dureté des parties, et à la fluidité de quelques unes; la différence est encore moindre, quant au matériel, entre le corps humain et un automate qui en imiterait certaines fonctions, tel que la mécanique en produit quelquefois. Pourquoi donc l’un a-t-il le sentiment et la pensée, tandis que l’autre en est privé ? Quelle différence paraît-il y avoir entre la main d’un cadavre exposée au feu, et celle d’un homme vivant qui y est

  1. Voyez plus bas l’Éclaircissement sur l’espace et sur le temps.