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DE PHILOSOPHIE.

celui de nos pensées. Mais à l’occasion de ces différentes parties de notre corps auxquelles nous rapportons les impressions ou les idées qui nous affectent, qu’il nous soit permis de faire une remarque qui paraît avoir échappé à tous les métaphysiciens.

La sensation et la pensée, que les philosophes semblent avoir confondues et regardées comme du même genre, n’ont pourtant aucun rapport entre elles ; car quel rapport entre la vue d’une couleur, par exemple, et l’idée de l’injuste ? Pourquoi donc ces mêmes philosophes, si attentifs à démêler les défauts de rapports entre les choses, et en conséquence à assigner de la différence entre elles, n’ont-ils pas distingué la substance qui sent, de la substance qui pense, par la même raison qu’ils ont distingué la substance pensante de la substance étendue ; la pensée pure et simple n’ayant guère plus d’analogie avec la sensation qu’avec l’étendue ? Ce n’est pas tout. Les sentimens qui affectent notre âme, soit purement passifs, comme la joie, soit actifs, comme le désir, n’ont aucun rapport ni aucune ressemblance entre eux, ni avec la sensation et la pensée ; pourquoi donc les philosophes n’ont-ils pas aussi attribué ces sentimens à quelque nouveau principe, distingué du principe qui sent et de celui qui pense ? Serait-ce parce que chaque sentiment suppose toujours une sensation ou une pensée qui l’accompagne ou la précède ? Mais chaque sensation suppose toujours aussi dans l’organe matériel un ébranlement qui la précède ou l’accompagne ; et cependant cette sensation n’appartient pas à l’organe ébranlé. Allons plus loin. Nous rapportons la sensation à cet organe, quoiqu’elle n’y appartienne pas ; n’y a-t-il donc pas une sorte de rapport, du moins apparent, entre l’ébranlement et la sensation ? Au lieu qu’il n’y a pas même l’apparence de rapport entre la sensation de la vue, de l’ouïe, etc., et la volonté de faire quelque action. Pourquoi donc ne regardons-nous pas la sensation et la volonté comme appartenantes à différens principes ? Si la faculté de sentir était unie à toutes les parties de la matière, et la faculté de vouloir à quelques unes seulement, nous regarderions vraisemblablement cette dernière faculté comme appartenante à un principe différent de celui auquel nous rapportons nos sensations ; et peut-être serions-nous tentés, quoique sans fondement, d’attribuer les sensations à la matière même.

Ces réflexions avaient probablement frappé les anciens, lorsque dans leur philosophie surannée, ils distinguaient l’âme raisonnable qui pense, de l’âme sensitive qui ne fait que sentir ; et le chancelier Bacon né paraît pas s’écarter de cette idée, lorsqu’il distingue la science de l’âme en science du souffle divin, d’où