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ÉLÉMENS

sation dans les parties extérieures de notre corps qui sont l’organe du toucher ; car d’ailleurs le toucher, considéré en lui-même, ne nous donne proprement qu’une sensation, celle de l’impénétrabilité et de la résistance plus ou moins grande des corps, d’où nous concluons la réalité de leur existence. Les sensations que nous acquérons ou que nous pouvons acquérir en touchant un corps, comme celle du froid, du chaud, du sec, de l’humide, etc., sont aussi différentes de la sensation du toucher même, que la sensation du goût, quoique cette dernière sensation dépende aussi du toucher.

Si d’un côté on peut multiplier le nombre de nos sens au-delà de celui que les philoscfphes ont fixé, on peut, sous un autre point de vue, réduire tous les sens à une espèce de toucher ; ce toucher s’exerce, ou d’une manière immédiate, comme dans le goût et le toucher proprement dit, ou d’une manière médiate, comme dans la vue, l’ouïe et l’odorat, par le moyen de quelque matière invisible que le corps lumineux, sonore, ou odoriférant, envoie ou fait agir sur nos organes.

Mais outre ces cinq sens, il en est un qu’on peut appeler interne, qui est comme intimement répandu dans notre substance, et dont le siège se trouve à la fois dans toutes les parties externes et internes de notre corps. Ce sens ne peut être rapporté ni médiatement ni immédiatement au toucher ; il résulte de la disposition actuelle des parties intérieures ou extérieures de notre propre corps, et produit en nous, en conséquence de cette disposition, des sensations agréables ou pénibles, sans que les autres corps occasionent ces sensations par leur action sur nos organes, ou du moins par une action sensible. Ce sens interne a encore cela de particulier, qu’au lieu que les autres sens agissent sur notre âme sans en recevoir mutuellement aucune impression, l’action du sens interne sur l’âme, et de l’âme sur le sens interne, est réciproque, c’est-à-dire, que tantôt la disposition de l’âme est produite par la manière dont le sens interne est affecté, tantôt la disposition du sens interne par celle de l’âme.

C’est vers la région de l’estomac que ce sens interne j>araît surtout résider. Nous pouvons nous en assurer dans les émotions vives de l’âme, de quelque espèce qu’elles soient ; l’effet de ces émotions vives porte presque toujours sur cette région, et nous fait éprouver dans les parties qui en sont voisines, une pesanteur, une dilatation, un resserrement, en un mot, une impression sensible et différente suivant la nature de l’émotion qui l’a occasionée.

Cette région semble donc être le siége du sentiment, comme les organes de nos sens celui de nos sensations, et le cerveau