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DE PHILOSOPHIE.

Dieu a voulu que l’àme des animaux pérît avec le corps, et qu’au contraire celle de l’homme subsistât éternellemenf. Si on lui propose d’expliquer pourquoi les betes souffrent, sans l’avoir mérité comme nous par le péché d’un premier père, et sans aucun espoir de récompense dans une autre vie, il n’éludera point avec Descartes cette objection, en soutenant, contre la raison et l’expérience, que les bêtes sont de purs automates. Il se contentera de répondre que si les bêtes ont des sensations cruelles, elles en ont aussi d’agréables qui les en dédommagent ; que la nature de tout ce qui a des sensations est d’être également susceptible de douleur et de plaisir ; que c est une suite de l’union du corps et de l’ame, et de l’action que les autres corps exercent sur les corps animés, action qui dépend elle — même de la constitution immuable de l’univers, et des lois invariables que son auteur a établies. Enfin il se contentera d avoir tiré de la philosophie toutes les lumières qu’elle peut fournir sur ce iiujet, et se taira sur ce qu’il ne peut comprendre.

§ VII. Éclaircissement sur ce qui est dit de l’analyse de nos sens et de ce que chacun d’eux en particulier peut nous apprendre, page 182.

C’est une question parmi les philosophes, de savoir si le sens de la vue seul peut nous faire connaître, indépendamment du toucher, l’existence des objets extérieurs. Voici quelques réflexions sur ce sujet.

Il est certain que la vue seule, indépendamment du toucher, nous donne l’idée de l’étendue ; puisque l’étendue est l’objet nécessaire de la vision, et qu’on ne verrait rien, si on ne le voyait étendu. Je crois même que la vision doit nous donner l’idée de l’étendue plus promptement que le toucher, parce que la vue nous fait remarquer plus promptement et plus parfaitement que le toucher, cette contiguité et en même temps cette distinction de parties en quoi l’étendue consiste. De plus la vision seule nous donne l’idée de la couleur des objets. Supposons maintenant des parties de l’espace, différemment colorées, et exposées à nos yeux ; la différence des couleurs nous fera remarquer nécessairement les bornes ou limites qui séparent deux couleurs voisines, et par conséquent nous donnera une idée de figure ; car on conçoit une figure dès qu’on conçoit des bornes en tous sens. Jusque-là, nous ne voyons point encore, il est vrai, que ces portions d’étendue figurées et colorées soient distinguées de nous-mêmes. Mais soit par