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DE PHILOSOPHIE.

est plusieurs auxquelles la révélation seule a l’avantage de répondre. Ces difficultés sont : la misère de l’homme qui ne paraît pas devoir être l’ouvrage d’un Être infiniment bon et infiniment juste ; les désordres de l’univers dans l’ordre moral ; l’inégalité monstrueuse en apparence dans la distribution des biens et des maux ; le triomphe trop fréquent du vice sur la vertu ; la difficulté de supposer qu’un Être infiniment puissant et infiniment sage n*ait pas créé le meilleur des mondes possibles ; et l’impossibilité de concevoir que ce monde, tel qu’il est, soit le meilleur que Dieu pût créer ; enfin l’incompatibilité apparente de la science de Dieu, de sa sagesse et de sa toute-puissance, avec la liberté de l’homme.

Les philosophes de l’antiquité qui révoquèrent en doute l’existence du premier Être, furent coupables, il est vrai, de ne point sentir en cette matière la supériorité des preuves directes sur les objections. Mais ils avaient du moins la bonne foi de sentir aussi l’insuffisance des réponses que fournit à ces objections la seule lumière naturelle. Dans cette incertitude ils prenaient le parti du doute, persuadés, disaient-ils, que l’Être suprême ne pouvait les punir de ne l’avoir pas mieux connu, puisqu’il avait couvert pour eux son existence d’obscurité. Mais l’obscurité n’était pas suffisante pour les rendre excusables ; ils étaient dans le cas de ces peuples, que Dieu, par un jugement aussi juste qu’impénétrable, punira éternellement d’avoir ignoré les dogmes du christianisme ; vérité effrayante, dont la foi ne nous permet pas de douter.

Les sophismes par lesquels l’existence de Dieu peut être attaquée, ne feront point ombrage au métaphysicien aidé des lumières de la religion. Il établira d’abord (ce qui est évident par soi-même) qu’il est nécessaire qu’il existe un Être éternel ; il montrera de plus que l’Être éternel est différent du monde ; que l’arrangement physique de l’univers ne peut être l’ouvrage d’une matière brute et sans intelligence ; il n’entreprendra point de concilier avec la liberté de l’homme la toute-puissance de Dieu, sa providence et sa science éternelle, parce que l’oracle de Dieu même lui apprend que l’accord de ces vérités est au-dessus de la raison ; il n’imitera pas la philosophie orgueilleuse qui a entrepris de sonder cet abîme, et n’a fait que s’y perdre ; mais il n’en reconnaîtra pas moins l’une et l’autre de ces vérités. Il avouera, par les mêmes raisons, sans chercher à l’expliquer, la différence établie par les théologiens entre infaillible et le nécessaire ; il n’admettra point en Dieu, j^our sauver la liberté de l’homme, une prévoyance des actions libres, indépendante de ses décrets, parce qu’une telle prévoyance est impossible ; il ne