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ÉLÉMENS

et celle de l’être pensant qui existe en nous, conduit le philosophe à la grande vérité de l’existence de Dieu. Cette vérité ne pouvant étre l’objet de la révélation (puisque la révélation la suppose), on ne saurait trop s’étonner que l’antiquité ait été partagée sur ce sujet ; que des sectes entières de philosophes n’aient reconnu d’autre Dieu que le monde ; et que d’autres, en admettant un être souverain, aient eu des idées assez imparfaites et assez fausses de la nature de cet être, pour donner à leurs adversaires de l’avantage sur eux. Il a fallu que Dieu se manifestât directement aux hommes, pour leur faire connaître évidemment cette vérité qu’ils portaient tous au dedans d’euxmêmes, mais que les uns n’y avaient pas reconnue, et que les autres n’y voyaient qu’à travers un nuage. L’intelligence suprême a déchiré le voile, et s’est montrée ; sans ajouter rien aux lumières de notre raison par rapport aux preuves de son existence, elle n’a fait que nous donner pleinement l’usage et l’exercice de ces lumières.

La preuve de l’existence de Dieu, qui se tire du consentement de tous les peuples, a paru d’une grande force à plusieurs philosophes de l’antiquité. Persuadés qu’ils étaient de l’impossibilité de se former une idée claire de la nature divine, il leur suffisait que tous les pcuj)les admissent son existence ; la différence des opinions sur la nature de cet être était peu propre à les frapper, parce qu’ils regardaient cette différence comme une preuve de la faiblesse de l’esprit humain, et l’uniformité de sentimens sur l’existence d’une intelligence supérieure comme une espèce d’aveu que le spectacle de l’univers arrachait aux hommes, et comme un hommage que cette intelligence inconnue les forçait à lui rendre[1]. Mais la philosophie éclairée par la révélation, ayant acquis des idées plus saines de la Divinité, ne sépare plus ces idées de son existence. Croire Dieu ce qu’il n’est pas, est pour le sage à peu près la même chose que de ne pas croire qu’il existe. Ainsi la preuve de l’existence de Dieu, tirée du consentement des peuples, ne pouvait avoir toute sa force tant que l’univers a été privé des lumières de l’Évangile. Il ne faut donc pas être étonné que cette preuve n’ait pas alors produit le même effet sur tous les esprits.

Une autre raison des idées obscures ou informes que les anciens philosophes ont eues de l’existence de Dieu, c’est que parmi les objections de l’antiquité païenne contre cette vérité, il en

  1. Rien n’est peut-être plus éloquent dans toute l’antiquité que le commencement du discours de S. Paul dans l’Aréopage : Athéniens, en passant devant un de vos autels, j’y ai vu cette inscription : au dieu inconnu. C’est Dieu que vous adorez sans le connaître, que je vous annonce.