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ÉLÉMENS

extérieurs ont au nôtre, et non pour nous faire connaître ces êtres en eux-mêmes. Que nous importe au fond de pénétrer dans Tessence des corps, pourvu que la matière étant supposée telle que nous la concevons, nous puissions déduire des propriétés que nous y regardons comme primitives, les autres propriétés secondaires que nous apercevons en elle, et que le système général des phénomènes, toujours uniforme et continu, ne nous présente nulle part de contradiction ? Arrêtons-nous donc, et ne cherchons pas à diminuer par des sophismes subtils le nombre déjà trop petit de nos connaissances claires et certaines.

Mais quand la matière, telle que nous la concevons, ne serait qu’un phénomène fort différent de ce qu’elle est en elle-même, quand nous n’aurions pas d’idée nette, ni peut-être même d’idée juste de sa nature, l’expérience journalière nous démontre que cet assemblage d’êtres, quel qu’il soit, que nous appelons matière, est par lui-même incapable d’action, de vouloir, de sentiment et de pensée. C’en est assez pour conclure que cet assemblage d’êtres ne forme point en nous le principe pensant. Le sage se borne à cette vérité incontestable, sans chercher à rendre raison de la plupart des phénomènes qui accompagnent nos sensations ; il n’entreprendra point d’expliquer pourquoi nous rapportons le toucher aux extrémités de notre corps, et comment le principe sentant qui est en nous, principe simple et indivisible de sa nature, se transporte, si on peut parler ainsi, tantôt successivement, tantôt à la fois dans toutes les extrémités du principe matériel qui sont affectées par les objets extérieurs. Nous avons déjà observé combien la multiplicité instantanée de nos sensations est incompréhensible ; l’erreur par laquelle nous rapportons toutes nos sensations aux parties de notre corps l’est peut-être davantage. Mais une erreur encore plus étrange, c’est l’application que nous faisons de la couleur sur la surface des objets. La sensation de couleur ne pouvant être que dans notre âme, il est bien extraordinaire que l’âme transporte cette sensation simple à un être quinelui est uni en aucune manière, et que de plus elle étende cette sensation sur cet être composé qui n’en est nullement susceptible, tant par sa multiplicité que par son incapacité de sentir. Nouveau problème métaphysique plus diiïicile que tous les précédens, et que nous laisserons à résoudre à notre postérité, qui le laissera de même à la sienne (Voyez Éclaircissement, § VIII, pag. 199.)

Ainsi pbjs on approfondit les différentes questions qui sont du ressort de la métaphysique, plus on voit combien leur solution est au-dessus de nos lumières et avec quel soin on doit les exclure des élémens de philosophie. On demande, par exemple, sx