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ÉLÉMENS

prennent étant réunis. Nous croyons seulement que cette méthode serait trop longue pour des élémens. On doit y prendre l’homme tel qu’il est, et non tel qu’à la rigueur il aurait pu être.

Mais pour prendre l’homme tel qu’il est, il n’est pas nécessaire de le considérer avec tous ses sens ; il suffit de lui supposer celui qui paraît essentiellement attaché à l’existence de nos corps, celui dont aucun homme n’est jamais absolument privé, le toucher en un mot. Le philosophe suivra donc l’intention de la nature, en s’attachant au toucher comme à celui de nos sens qui nous fait vraiment connaître l’existence des objets extérieurs. D’ailleurs l’impénétrabilité, cette qualité essentielle des corps, ne nous est connue que par le toucher ; nouvelle observation qui indique le toucher au métaphysicien, comme le sens dont il doit s’aider dans une pareille recherche. (Voyez Éclaircissement, § II, pag. 193.)

La connaissance des objets extérieurs étant acquise dès l’enfance par tous les hommes, le philosophe doit avoir uniquement pour but de démontrer comment elle s’acquiert. Il peut donc employer le langage commun qui est fondé sur cette connaissance acquise ; il peut se servir, par exemple, du terme de corps extérieurs, avant que d’avoir démêlé comment nous en connaissons l’existence. Cette manière de s’énoncer n’entraînera ni équivoque, ni supposition de ce qui est en question ; parce qu’il s’agit uniquement d’expliquer un fait incontestable, et non pas de le prouver.

Une observation très-fréquente et très-simple nous sert à distinguer notre corps de ceux qui l’environnent. Quand quelque partie de notre propre corps en touche une autre, notre sensation est double ; elle est simple et sans réplique quand nous touchons un corps étranger. En voilà assez pour distinguer le nous, et pour reconnaître d’abord en général la différence de ce qui est nôtre d’avec ce qui ne l’est pas. Le métaphysicien, en étendant et en développant cette observation, répondra d’une manière satisfaisante à la première des trois questions sur l’existence des objets extérieurs.

Mais la conclusion qu’il tire de ses sensations à l’existence des objets est-elle démonstrative ? Les philosophes se partagent sur ce point, quoique tous conviennent que notre penchant à juger de l’existence des corps est invincible. Ceux qui regardent nos sensations comjiie une preuve démonstrative de l’existence des objets, prétendent que Dieu nous tromperait si nos sensations ne nous représentaient que des êtres fantastiques. Ces philosophes en raisonnant ainsi, tombent dans deux inconvéniens. Le pre-