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DE PHILOSOPHIE.

teurs de métaphysique ce qu’on a dit des bons écrivains, qu’il n’y a personne qui, en les lisant, ne croie pouvoir en dire autant qu’eux.

Mais si dans ce genre tous sont faits pour entendre, tous ne sont pas faits pour instruire. Le mérite de faire entrer avec facilité dans les esprits des notions vraies et simples, est beaucoup plus grand qu’on ne pense, puisque l’expérience nous prouve combien il est rare ; les saines idées métaphysiques sont des vérités communes que chacun saisit, mais que peu d’hommes ont le talent de développer ; tant il est difficile, dans quelque sujet que ce puisse être, de se rendre propre ce qui appartient à tout le monde. Je ne crains point que ces réflexions blessent nos métaphysiciens modernes ; ceux qui n’en sont pas l’objet y applaudiront, ceux qui pourraient l’être croiront qu’elles ne les regardent pas ; mais les lecteurs sauront bien distinguer les uns des autres.

L’examen de l’opération de l’esprit qui consiste à passer de nos sensations aux objets extérieurs, est évidemment le premier pas que doit faire la métaphysique. Comment notre âme s’élance-t-elle hors d’elle-même, pour s’assurer de l’existence de ce qui n’est pas elle ? Tous les hommes franchissent ce passage immense, tous le franchissent rapidement et de la même manière ; il suffit donc de nous étudier nous-mêmes, pour trouver en nous tous les principes qui serviront à résoudre la grande question de l’existence des objets extérieurs. Elle en renferme trois autres qu’il ne faut pas confondre. Comment concluons-nous de nos sensations l’existence de ces objets ? Cette conclusion est-elle démonstrative ? Enfin comment parvenons-nous par ces mêmes sensations à nous former une idée des corps et de l’étendue ?

La première de ces questions ayant pour objet une vérité de fait, c’est-à-dire, la conclusion que nous tirons de nos sensations à l’existence des objets, la solution en est susceptible de toute l’évidence possible. Cette conclusion est une opération de l’esprit dont les philosophes seuls s’étonnent, mais dont ils ont bien droit de s’étonner ; et le peuple qui rit de leur surprise, la partage bientôt pour peu qu’il réfléchisse. Pour expliquer cette opération, il est nécessaire de se mettre en quelque sorte à la place d’un enfant qui vient de naître, et de suivre le développement de ses idées. Ce cours d’ignorance, si on peut l’appeler de la sorte, est beaucoup plus utile que ce qu’on appelle quelquefois si gratuitement cours de science dans nos écoles.

Nous ne prétendons point blâmer l’analyse qu’un philosophe moderne a faite de nos sens, en examinant ce que chacun d’eux pris séparément peut nous apprendre, et ce qu’ils nous ap-