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ÉLOGE.

Telles avaient été les découvertes de d’Alembert, lorsqu’en 1756, l’Académie lui donna le titre de pensionnaire surnuméraire ; cette distinction, accordée à son génie et à ses ouvrages, prouve que les compagnies savantes ont quelquefois assez d’équité, ou entendent assez bien les intérêts de leur gloire, pour honorer dans un de leurs membres un mérite et des talens supérieurs ; si leur justice est plus lente, elle est aussi plus éclairée que celle des particuliers. Quelques académiciens, animés d’un zèle sans doute respectable par ses motifs, s’opposaient à cette violation de l’usage, ils alléguaient les inconvéniens de l’exemple : Eh bien, leur répondit M. Camus, si un autre prétend à la même distinction, et qu’il ait autant de titres, il faudra bien l’accorder encore.

En 1759, d’Alembert publia ses Élémens de philosophie.

Il y développe les premiers principes et la véritable méthode des différentes sciences ; il montre les écueils qu’on doit éviter dans chacune, quand on ne veut pas risquer de s’égarer : il est peu de livres qui, dans un si petit espace, renferment plus de vérités ; et l’auteur, par la clarté avec laquelle il les analyse, par la propriété des expressions et la précision de son style, a su rendre ces vérités usuelles et accessibles aux lecteurs les moins familiarisés avec les idées abstraites. En retranchant un petit nombre de pages, où il est aisé de reconnaître les sacrifices que des convenances du moment ont exigés, cet ouvrage mérite d’entrer dans l’éducation de tous les hommes qui cherchent à s’instruire ; parce qu’il est également propre à donner des idées justes sur tous les objets de nos connaissances à ceux qui ne veulent en approfondir aucun, et à préserver les savans des préjugés que l’étude à laquelle ils se livrent pourrait leur donner. On sait que chaque science a les siens, dont l’étendue des connaissances ou le génie ne saurait nous garantir, qui nuisent au progrès de la science même, et dont la philosophie est le seul préservatif.

On trouve dans ces élémens la solution d’une question importante, déjà discutée dans la préface du Traité de dynamique. Les philosophes disputaient encore pour savoir si les lois du mouvement sont d’une vérité nécessaire ou contingente : c’est-à-dire, si elles sont les unes des vérités de définition, les autres des conséquences absolues de l’étendue et de l’impénétrabilité des corps, ou bien si ces lois sont l’effet d’une volonté libre, qui les a établies pour conserver l’ordre de l’univers : d’Alembert résolut la question, et montra que ces lois sont nécessaires ; la découverte de son principe lui donna les preuves de cette vérité, et on peut regarder cette partie de son ouvrage comme une découverte en métaphysique, celle de toutes les sciences où jusqu’ici il a été le plus rare d’en faire de vraiment dignes de ce nom.

D’Alembert établit pour principe de morale l’obligation de ne pas regarder comme légitime l’usage de son superflu, lorsque d’autres hommes sont privés du nécessaire ; et de ne disposer pour soi-même que de la portion de sa fortune qui est formée, non aux dépens du nécessaire des autres, mais par la réunion d’une partie de leur superflu.

Il fait sentir dans ce même ouvrage l’utilité d’élémens de morale mis