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DE PHILOSOPHIE.

gnages en cette matière, est telle que souvent un témoignage, qui paraîtrait d’un grand poids, diminue de force quand on l’examine. On sent aisément que mille raisons peuvent contribuer à cet affaiblissement. Il est facile cependant de se faire illusion à ce sujet, et de vouloir enlever quelquefois à un témoignage éclatant une force qu’il n’est pas possible de lui ôter. Qu’on me permette, pour le faire sentir, de rapporter un exemple célèbre. Ammien Marcellin raconte le prodige des feux souterreins qui, sortant tout à coup du sein de la terre, empêchèrent que le temple de Jérusalem ne fut rebâti, comme l’empereur Julien l’avait ordonné. Or Ammien Marcellin était païen, éclairé, philosophe ; il raconte ce fait, et ne changea pas de religion ; qu’en faut-il conclure, disent les incrédules ? l’une de ces deux choses, ou que le passage dont il s’agit n’est peut-être point d’Amraien Marcelîin, et qu’il a pu être ajouté à son histoire, comme cela s’est pratiqué en d’autres occasions par une fraude plus pieuse qu’éclairée ; ou que si c’est lui qui a raconté ce fait, il le regardait, soit comme un bruit populaire, soit comme purement naturel. La réponse du chrétien à cet argument est toute simple ; Dieu a permis que la philosophie d’Ammien Marcellin fût assez aveugle pour ne pas sentir ou ne pas connaître les preuves qui résultent de ce fait en faveur de la prédiction rapportée dans le Nouveau-Testament, que le temple de Jérusalem ne serait jamais rebâti. Si quelque sultan, également aveugle et impie, entreprenait aujourd’hui de faire rétablir ce temple, soit pour braver le christianisme en détruisant, s’il le pouvait, une de ses principales preuves, soit par des vues de politique pour attirer les Juifs dans ses Etats, et en augmenter la population, il est hors de doute que Dieu empêcherait l’exécution de ce dessein par quelque nouveau prodige. Mais cet Être, aussi sage que puissant, qui ne multiplie pas les prodiges en vain, se contente d’éloigner de l’esprit des sultans l’idée de rétablir le temple des Juifs. C’est en effet une chose très-étonnante, et où le doigt de la Providence paraît bien marqué, que parmi tant d’empereurs turcs, ennemis déclarés du christianisme, dont même quelques uns d’eux avaient juré la perle, aucun n’ait encore pensé au projet dont nous parlons. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas, ce me semble, de chrétien sincère et zélé qui ne doive souhaiter que Dieu permette cette entreprise impie. Car il en résulterait infailliblement, en faveur de la religion chrétienne, un nouvel argument des plus éclatans.

Il n’est point de partisan éclairé de la vraie religion, qui n’admette toutes les règles que nous venons d’établir pour l’examen des miracles. Les défenseurs d’une si bonne cause se refusent