Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/211

Cette page n’a pas encore été corrigée
171
DE PHILOSOPHIE.

moins propres par conséquent à se confirmer les uns les autres. Mais il n’est pas moins vrai que le doute, sur la réalité de ces témoignages (s’il doit avoir lieu), ne peut commencer raisonnablement qu’à une certaine époque plus ou moins éloignée de noire temps, et que depuis cette époque jusqu’à nous, tout le temps qui s’est écoulé ne peut produire aucune incertitude nouvelle.

Il est donc question dans tous les cas, soit de tradition orale, soit de tradition écrite, de remonter au premier témoin qui raconte. Il faudra ensuite eximiner si celémoin est oculaire, ou seulement contemporain ; s’il est le seul qui ait vu, ou si plusieurs ont vu la même chose, et nous en assurent ; si leur témoignage est uniforme et non contesté, ni contrarié, ni même altéré par d’autres ; si le fait qu’on raconte est dans l’ordre communion s’il n’y est pas ; si dans ce dernier cas les témoins qui en déposent ont été assez éclairés pour ne se pas tromper ; s’ils sont à l’abri de tout soupçon de séduction ou d’enthousiasme ; s’ils n’ont pas eu d’intérêt à voir les choses telles qu’ils désiraient qu’elles fussent ; s’ils n’en ont point eu à dire qu’ils les ont vues pour se faire croire plus aisément ; enfin si en les supposant de bonne foi et sans intérêt, il n’y a pa, plus de raisons de les supposer dans Terreur, que de croire que les lois ordinaires et constantes de la nature aient été violées pour contredire des vérités solidement établies.

On aurait grand tort de conclure de toutes ces règles, aussi sévères qu’indispensables, qu’il faille toujours refuser sa croyance au témoignage des hommes en fait de prodiges. On en conclura seulement’qu’il faut êire très-circonspect à y ajouter foi ; plus les faux miracles seront décriés, plus les vrais miracles y gagneront.

Il y a plus de trente ans qu’il se faisait tous les jours des miracles sans fin dans un cimetière situé à l’extrémité de Paris. Ces miracles sont attestés, dit-on, par des témoignsges nombreux et authentiques. Il n’y a dans toute l’histoire ancienne et moderne, aucune espèce de prodiges (si on en croit les partisans de ceux-ci) qui puissent compter et réclamer tant de voix en sa faveur[1]. Si ce recueil de témoignages parvenait à la postérité, seul et dégagé de tout ce qui doit le rendre nul, elle se trouverait embarrassée, et n’oserait prononcer sur la fausseté de ces prétendus prodiges, en les voyant assurés par des hommes dont l’état, le nombre, et les lumières qu’on leur suppose, semblent obliger de les croire sur leur parole quand ils assurent avoir vu.

Je dirai plus. Un grand nombre de partisans de ces prétendus

  1. Les partisans de ces miracles ont osé imprimer expressément que les miracles de Jésus-Christ n’étaient pas mieux attestés que les leurs : on a fait l’honneur à cette assertion impie de la réfuter sérieusement.