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DE PHILOSOPHIE.

merveilleux de la pharmacie, et qui prouve à quel point les effets en sont certains et déterminés. Aussi les plus habiles et les plus éclairés de nos médecins font-ils de toute cette pharmacie ie cas et l’usage qu’elle mérite ; c’est sans doute en ce sens qu’on a dit et avec grande raison, que le médecin le plus digne d’être consulté, était celui qui croyait le moins à la médecine.

Et comment les médecins s’accorderaient-ils sur les remèdes ! Ils ne s’accordent pas sur les faits les plus iraportans ; par exemple sur la question, si on peut avoir deux fois la petite vérole[1], etsur beaucoup d’autres semblables ? Mais en voilà assez sur l’incertitude de cet art ou de cette science, comme on oudra l’appeler.

Si l’art de conjecturer est la ressource presque unique de la médecine, malgré l’importance de l’objet, cet art est souvent forcé de s’exercer en jurisprudence sur des sujets qui ne sont guère moins intéressans, la fortune, l’honneur, l’état, la liberté et quelquefois même la vie des hommes. Cette science a pourtant un avantage que la médecine a rarement, celui d’avoir des principes fixes et décidés, quoique souvent arbitraires dans leur institution. Ces principes sont les lois de chaque État, qui ne peuvent être changées que par une volonté expresse de ceux qui gouvernent. En médecine, les deux choses qu’il importe de connaître, sont souvent incertaines l’une et l’autre, le mal et le remède ; en jurisprudence, le remède est toujours donné par la loi, le genre du mal seul peut être équivoque. L’art de conjecturer se réduit donc à bien déterminer ce qui tombe dans le cas de la loi : il y a même des Etats, et ce ne sont pas les moins sages, oii cette question est la seule sur laquelle les juges j^rononcent ; c’est la loi qui ordonne le reste, et qui fait l’arrêt.

Le juge peut rencontrer deux espèces de difticultés à fixer ce qui tombe dans le cas de la loi ; en premier lieu l’insuffisance des preuves ; et en second lieu, lors même que les preuves sont incontestables, la différence réelle ou apparente du cas proposé à ceux que la loi a expressément prévus : car il est évident qu’elle ne saurait tout prévoir. Quelquefois même les deux difficultés se réunissent, et la décision en devient encore plus épineuse. Mais si le juge n’est que trop souvent obligé d’avoir recours à la conjecture, au moins doit-il être d’autant plus réservé dans l’usage qu’il en fait, que l’objet est plus important, surtout quand il s’agit de l’honneur et de la vie des hommes. J’avouerai à cette occasion que deux choses fn’out toujours fait peine dans nos lois criminelles françaises. La première, qu’il ne faille que deux témoins pour condamner à mort un accusé ; cette loi sup-

  1. Voyez les Réflexions philosophiques et mathématiques sur l’application du Calcul des Probabilités à l’inoculation.