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ÉLÉMENS

Autre question. — Est-il possible qu’une certaine liqueur, lancée par un animal dans le corps de sa femelle, produise un autre animal de même espèce ?

Réponse. — Quelle absurdité ! Et quel rapport peut-il y avoir entre cette liqueur brute de quelque genre qu’elle soit, et un être pensant et sentant ? On ne donne point ce qu’on n’a point ; ceux qui font cette question sont tout au moins suspects de matérialisme ; mais heureusement l’absurdité de leur hypothèse empêche qu’elle ne soit dangereuse.

Troisième question. — On prétend avoir trouvé le secret d’une petite poudre qui a cette propriété, que quand il tombe une étincelle dessus, cette poudre éclate avec grand bruit, et peut, quoiqu’en assez petite quantité, renverser dans son explosion des édifices considérables. On demande si la chose est possible ?

Réponse. — Cela est impossible par tous les principes de la mécanique. Pour qu’une petite masse en renverse une grande, il faut au moins que cette petite masse soit douée d’une vitesse énorme. Et comment une étincelle peut-elle communiquer une si grande vitesse à un amas de grains de poudre en repos ? car d’un côté cette étincelle est beaucoup moindre que l’amas de grains de poudre, et de l’autre la vitesse avec laquelle elle tombe sur cet amas de grains, est peu considérable. Il faut donc encore renvoyer ce prétendu fait au catalogue des fables.

Cela est fort bien raisonné ; mais cette poudre existe cependant, au grand détriment de l’espèce humaine.

On ose avancer qu’un physicien de cabinet, qui aurait cherché à deviner par les raisonnemens et les calculs les phénomènes de la nature, et qui les verrait ensuite tels qu’ils sont, serait bien étonné de n’avoir presque jamais rencontré juste. Il ressemblerait aux habitans des îles Mariannes, qui la première fois qu’ils virent du feu, prirent cette matière pour un animal qui dévorait tout ce qui se trouvait proche de lui. Un Hollandais qui entretenait un roi de Siam des particularités de la Hollande, lui dit entre autres choses que dans son pays l’eau se durcissait quelque fois si fort pendant la saison la plus froide de l’année, que les hommes marchaient dessus e tque cette eau ainsi durcie porterait des éléphans s’il y en avait. Jusqu’ici, lui dit le roi, j’ai cru les choses extraordinaires que vous m’avez dites, parce que je vous prenais pour un homme d’honneur et de probité ; mais présentement je suis assuré que vous mentez. Ce roi de Siam représente assez bien le physicien de cabinet, toujours prêt à nier comme impossible ce qu’il ignore et ne peut comprendre, et à rendre de mauvaises raisons de ce qu’il ne peut nier parce qu’il le voit.