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DE PHILOSOPHIE.

conjecturer en physique, pour deviner les faits qui ne sont pas à la portée de nos sens, doit être encore plus grande quand il s’agit d’expliquer les faits connus. C’est surtout alors que les raisonnemens tirés de l’analogie sont le plus sujets à nous induire en erreur. J’ai quelquefois désiré[1] que pour guérir les physiciens de la manie d’expliquer tout, on fît un ouvrage qu’on pourrait intituler Anti-physique, et dans lequel, supposant les pliénoiuènes tout autrement qu’ils ne sont, on en donnerait en même temps des explications si évidentes en apparence, q’ie le physicien et même le géomètre le plus difficile devraient en être satisfaits. On dirait, par exemple : Le baromètre hausse pour annoncer la pluie.

Explication. — Lorsqu’il doit pleuvoir, l’air est plus chargé de vapeurs, par conséquent plus pesant ; par conséquent il doit faire hausser le baromètre ; ce qu il fallait démontrer.

Autre fait à expliquer. — L’hiver est la saison où la grêle doit principalement tomber.

Explication. — L’atmosphère étant plus froide en hiver, il est évident que c’est surtout dans cette saison que les gouttes de pluie doivent se congeler jusqu’à se durcir en traversant l’atmosphère ; ce qu il fallait démontrer.

Par malheur pour ces explications, les faits y sont absolument opposés. Le baromètre baisse pour annoncer la pluie, et la grêle tombe bien plus souvent en été qu’en hiver. Cependant je ne vois pas ce qu’on pourrait objecter aux explications précédentes ; et il faut convenir que cette réflexion est fort encourageante pour les physiciens qui veulent et qui croient rendre raison des phénomènes de la nature.

Je n’apporterai pas un plus grand nombre d’exemples, par la trop grande facilité qu’il y aurait à les multiplier ; mais après avoir donné un modèle d’explications physiques des faits non existans, j’en vais donner un des raisonnemens par lesquels les philosophes prétendent décider qu’un fait est impossible, prescrire des bornes à la nature, et lui dire comme Dieu à la mer : Tu iras jusqu’ici et tu n’avanceras pas plus loin.

Question. — On demande s’il est possible qu’un pépin de fruit mis en terre produise au bout d’un certain nombre d’années un arbre du même genre que celui d’où le fruit a été tiré.

Réponse. — Il est évident que cela est impossible ; comment le moins peut-il produire le plus ? à moins qu’on ne veuille donner le démenti à l’axiome, que le tout est plus grand que sa partie.

  1. Ceci peut servir de développement à ce qui est dit à la fin de l’art. XX, Physique générale.