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ÉLÉMENS

ne point parler des autres, puisse être habitée, elle qui s’est approchée du soleil jusqu’à toucher presque sa surface, et qui a dû éprouver dans cette proximité une chaleur capable de détruire tout ce qui la couvrait ? or si cette comète n’est pas habitée, pourquoi les autres comètes le seraient-elles ? et si les comètes ne sont pas habitées, pourquoi veut-on que les planètes le soient ? mais si les planètes et les comètes ne sont pas habitées, pourquoi sont-elles des corps opaques, et non des astres lumineux par eux-mêmes ? On dira peut-être que la lune sert à nous éclairer pendant l’absence du soleil, et que si elle avait été lumineuse par elle-même, la nuit, destinée à tempérer la chaleur du jour, n’aurait fait alors que l’augmenter. D’abord il est fort douteux que la destination de la lune soit de nous éclairer pendant nos nuits, puisque durant la moitié des nuits elle nous est cachée. Il faudrait, pour qu’elle nous éclairât constamment pendant l’absence du soleil, qu’elle se levât tous les jours quand cet astre se couche ; c’est-à-dire que sa révolution autour de la terre, au lieu d’être de 27 à 28 jours, fut d’environ 365, précisément comme celle du soleil. Il est vrai qu’il serait nécessaire pour cela que la lune fût cinq à six fois plus éloignée de nous, et qu’alors elle nous donnerait moins de lumière ; mais il eût été facile d’obvier à cet inconvénient en donnant plus de volume et par conséquent plus de surface à cette planète sans augmenter sa masse. Concluons donc que nous ne savons pas trop bien la vraie destination de la lune. Mais quand l’usage de cette planète serait en effet de nous éclairer pendant nos nuits, assurément les autres planètes ne sont pas faites pour cela ; et quand elles le seraient, il n’y aurait aucun danger pour nous qu’elles fussent lumineuses par elles-mêmes, si elles ne sont destinées qu’à nous éclairer.

Si donc les planètes, quoique semblables par leur opacité au globe terrestre, ne sont pas habitées, comme il est très-permis de le croire, quelle peut être l’utilité de ces corps dans la vaste étendue des cieux ? c’est ce i[ue nous ne savons pas, et vraisemblablement ce qu’il faut nous résoudre à ne savoir jamais. Ne cherchons point à deviner ce qui se passe dans les globes immenses qui flottent si loin de notre terre ; contentons-nous d’ignorer presque entièrement ce qui arrive autour de nous dans le petit globe que nous habitons, et répétons-nous souvent à nous-mêmes la leçon faite autrefois à ce philosophe, qui en observant les astres se laissa tomber dans un puits :

Tandis qu’à peine à les pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête ?

La circonspection avec laquelle on doit faire usage de l’art de