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DE PHILOSOPHIE.

voulaient brûler certains corps, soit quand ils avaient à faire certains ouvrages qui demandaient que l’objet sur lequel ils travaillaient fut bien éclairé ; ils s’étaient même aperçus[1] qu’une boule de verre pleine d’eau grossissait les objets ; comment n’ont-ils pas fait plus d’usage en physique de ces sortes de microscopes, formés d’une petite boule de verre pleine d’eau, qui grossit assez considérablement les corps placés à son foyer ? comment de plus ne leur est-il pas venu en idée d’employer des verres lenticulaires au lieu de sphères ? Ces verres si utiles pour aider la vue, n’ont pourtant commencé d’être en usage qu’à la fin du treizième siècle. Mais, ce qui est peut-être plus extraordinaire, comment s’est-il écoulé trois siècles entiers entre l’invention des lunettes simples à un seul verre, et celle des lunettes à deux verres ? Il semble pourtant que cette nouvelle combinaison était bien facile à imaginer, et qu’il était bien naturel d’essayer ce qui en résulterait, sans attendre que le hasard en fournît l’occasion. Combien d’autres exemples pourrions-nous apporter de la lenteur avec laquelle les découvertes se suivent, lors même qu’elles semblent avoir entre elles une connexion nécessaire ?

L’analogie, c’est-à-dire la ressemblance plus ou moins grande des faits, le rapport plus ou moins sensible qu’ils ont entre eux, est donc l’unique règle des physiciens, soit pour expliquer les faits connus, soit pour en découvrir de nouveaux. Mais en même temps, que de précautions ne doivent-ils pas apporter dans l’application de cette règle, si sujette à les tromper, soit par des ressemblances qui ne sont qu’apparentes, soit par des différences qu’on découvre avec le temps aux phénomènes qui paraissaient le plus parfaitement semblables ?

Les planètes semblent être des corps opaques, analogues à la terre que nous habitons ; en faut-il conclure qu’elles sont habitées comme notre terre ? Sans parler des difficultés théologiques qu’on oppose à cette conséquence (difficultés auxquelles la philosophie ne touche point), la ressemblance des planètes à la terre est-elle aussi parfaite que nous l’imaginons ? On doute beaucoup que la lune, celle de toutes les planètes dont nous connaissons le mieux la surface, ait une atmosphère semblable à celle du globe terrestre j dès lors voilà un point essentiel de ressemblance qui manquerait à ces deux corps, et qui infirmerait toutes les conse% quences qu’on pourrait tirer de cette ressemblance prétendue. Ce n’est pas tout. Supposons les planètes habitées ; pourquoi les comètes ne le seraient-elles pas aussi ? car ces comètes sont aussi elles-mêmes des planètes, comme l’astronomie moderne l’a démontré. Mais comment concevoir que la comète de 1680, pour

  1. Sénèque, Quest. nat. chap. 6.