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ÉLÉMENS

Les premières peuvent se réduire à la physique et à l’histoire, les autres à la médecine, à la jurisprudence et à la science du monde ; j’entends ici par la science du monde, l’art de se conduire avec les hommes pour tirer de leur commerce le plus grand avantage possible, sans s’écarter néanmoins des obligations que la morale impose à leur égard.

Parcourons successivement ces différentes sciences, et voyons dans chacune en quoi consiste l’art de conjecturer, relativement à leurs différens objets.

En physique l’art de conjecturer peut avoir pour but, ou de trouver la cause des faits que l’expérience et l’observation nous découvrent, ou de nous conduire à la découverte de nouveaux faits qui ajoutent quelques degrés de perfection aux connaissances que nous avons sur les phénomènes de la nature. C’est en remplissant ce dernier objet que l’art de conjecturer en physique peut avoir l’utilité la plus réelle et la plus sensible. On sera d’autant plus en état d’y parvenir, qu’on aura une connaissance plus étendue des faits déjà découverts. En rapprochant les uns des autres ceux de ces faits qui ont entre eux quelque chose de commun, quelque analogie plus ou moins facile à apercevoir, on en vient à soupçonner les phénomènes qui pourraient résulter de quelque combinaison nouvelle ; et la conjecture se change en démonstration, quand l’expérience confirme ce qu’on avait soupçonné.

Il semble que cet art de conjecturer dans la physique devrait en étendre très-rapidement les bornes. La multitude des phénomènes connus, les rapports qu’ils ont entre eux, les nouvelles combinaisons qu’on peut faire pour généraliser ces rapports ou pour les restreindre, tout cela paraîtrait devoir enrichir prodigieusement de jour en jour la masse de nos connaissances physiques. Mais soit négligence de la part des philosophes, soit fatalité attachée au progrès des connaissances humaines pour le ralentir, il s’est écoulé des siècles entre les découvertes qui semblaient avoir le plus d’analogie. L’art de frapper les monnaies et les médailles a été connu des anciens ; ceux de la gravure et de l’imprimerie, qui paraissent y toucher, ne le sont que depuis trois cents ans. Toutes les histoires anciennes sont pleines de phénomènes de l’électricité et de l’aurore boréale ; ce n’est que depuis peu que les physiciens ont donné une attention suivie à ces phénomènes, regardés jusque-là comme des espèces de prodiges que racontait la crédulité des historiens. La direction de l’aimant vers le nord a été connue plus d’un siècle avant qu’on songeât à faire usage de la boussole. Les anciens se servaient de sphères de verre remplies d’eau pour augmenter le feu et la lumière, soit quand ils