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DE PHILOSOPHIE.

des termes nouveaux, surtout dans les sciences qui n’ont point ou qui n’ont guère d’autre langue que la langue commune, ou dont les termes sont assez généralement connus, comme la métaphysique, la morale, la logique et la grammaire : il en coûte moins au commun des hommes de réformer leurs idées que de changer leur langage. Il faut du moins, si la nécessité oblige à créer de nouveaux termes, nen hasarder qu’un très-petit nombre à la fois, pour ne pas rebuter par une langue trop nouvelle ceux qu’on se propose d’instruire. On doit en user pour changer la langue des sciences, comme pour notre orthographe, qui, quoique très-vicieuse et pleine d’inconséquences et de contradictions, ne pourra cependant être réformée que peu à peu, et comme par degrés insensibles ; les cha igemens trop considérables et trop nombreux qu’on voudrait y faire tout à coup, ne serviraient qu’à perpétuer le mal au lieu d’y remédier. Hâtez-vous lentement y doit être, ce me semble, la devise de presque tous les réformateurs.

§ III. Éclaircissement sur ce qui est dit concernant les vérités appelées principes, pag. 135.

Nous avons dit que les vérités que dans chaque science on appelle principes, et qu’on regarde comme la base des vérités de détail, ne sont peut-être elles-mêmes que des conséquences fort éloignées d’autres principes plus généraux que leur sublimité dérobe à nos regards. En effet, tous les principes de nos connaissances, en physique par exemple, sont les propriétés les plus sensibles que l’observation nous découvre dans la matière, propriétés qui tiennent elles-mêmes à l’essence, et, si je puis m’exprimer ainsi, à la constitution intime de la matière que nous ne connaissons nullement, et que nous ne parviendrons jamais à connaître. Les principes de nos connaissances en métaphysique sont aussi des observations sur la manière dont notre âme conçoit ou dont elle est affectée ; observations qui tiennent de même à la nature encore pi us ignorée, s’il est possible, de ce qui pense et de ce qui sent en nous. Eafin les principes de la morale, principes uniquement faits pour les hommes et non pour les animaux, tiennent à une différence entre l’homme et la brute, que nous connaissons bien par le fait, mais dont le principe philosophique nous est inconnu. Nous ne savons, si je pnis m’exprimer de la sorte, ni le pourquoi ni le comment de rien ; c’est néanmoins à ce comment, à ce pourquoi que nos connaissances devraient remonter pour s’élever jusqu’aux vrais principes de toutes les vérités, soit pratiques, soit spéculatives. Pourquoi