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ÉLÉMENS

exemple, au-dessous du mot corps ceux d’impénétrabilité et de fleure sur la même ligne, et au-dessous de ces derniers celui d’étendue.

Par le secours de cette table, et d’après les principes que nous venons d’établir, on distinguerait facilement dans les objets de nos sensations et dans les idées qui se rapportent à ces objets, les idées abstraites composées qui ont besoin d’être définies, les idées abstraites simples qui ne peuvent ni ne doivent l’être, et enfin les idées abstraites simples, qui, sans pouvoir ni devoir être définies, ont besoin qu’on en développe la formation.

On suivrait à peu près le même plan dans la table qui renfermerait les expressions des idées purement intellectuelles et réfléchies ; avec cette différence que la table dont il s’agit n’aurait pas besoin d’être formée sur deux colonnes comme celle des idées sensibles ; l’objet d’une idée intellectuelle, étant rarement différent de cette idée même. Mais il y aurait une grande précaution à prendre dans la définition des idées purement intellectuelles, par le peu de secours que la langue fournit pour faire connaître en quoi consistent ces idées. Cette difficulté se ferait même apercevoir quelquefois dans la définition des idées qui se rapportent aux objets sensibles.

En effet, qu’il me soit permis de remarquer ici, et à l’occasion de la matière que je traite, l’indigence et l’imperfection des langues ; 1o. leur indigence, en ce qu’elles expriment souvent par le même mot, des notions qu’il eût été facile et avantageux d’exprimer par des mots différens, par exemple, sentir une odeur, et sentir de la résistance ; douleur pour exprimer les souffrances physiques, et douleur pour exprimer le chagrin ; une couleur éclatante et un bruit éclatant ; une lumière faible, un bruit faible, une odeur faible, et mille autres expressions semblables ; 2o. leur imperfection, en ce qu’elles rendent presque toutes les idées intellectuelles par des expressions figurées, c’est-à-dire par des expressions destinées dans leur signification propre à exprimer les idées des objets sensibles ; et remarquons en passant que cet inconvénient, commun à toutes les langues, suffirait peut-être pour montrer que c’est en effet à nos sensations que nous devons toutes nos idées, si cette vérité n’était pas d’ailleurs appuyée de mille autres preuves incontestables.

Quand je dis que la plupart des expressions de la langue sont figurées, je n’entends pas seulement les expressions si communes, où la figure est évidente, comme dans ces phrases, une maison triste, une campagne riante, un discours froid, etc., j’entends les expressions qu’on regarde comme les plus simples, et qu’on trouvera néanmoins presque toutes figurées, pour peu qu’on y