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DE PHILOSOPHIE.

distinguée de l’espace qui l’environne, par l’impénétrabilité et par les bornes qui la terminent, on peut supposer indifféremment, ou que cette portion d’étendue est toujours correspondante aux mêmes parties de l’espace, et par conséquent, en repos, ou qu’elle occupe successivement des parties de l’espace différentes, c’est-à-dire, qu’elle est en mouvement ; et comme l’une ou l’autre de ces suppositions est nécessaire, et qu’aucune des deux n’est nécessaire en particulier, il est donc évident que ni l’une ni l’autre ne sont nécessaires dans la définition, et qu’elles sont renfermées dans l’idée générale d’étendue impénétrable et figurée, c’est-à-dire d’étendue impénétrable et terminée en tous sens.

Pour connaître les cas où les définitions sont nécessaires, et les idées qui doivent y entrer, il y aurait, ce me semble, un ouvrage à faire, qui serait bien digne d’un philosopbe, et qui aurait peut-être moins de difficultés qu’on ne pense ; ce serait la table nuancée, si on peut parler ainsi, de tous les difïérens genres d’idées abstraites, dans l’ordre suivant lequel elles s’engendrent les unes les autres ; par ce moyen il deviendrait facile, soit de les décomposer, soit de les généraliser, et par conséquent d’en fixer la notion précise, soit en les définissant, soit en développant leur formation.

Il faudrait pour cela distinguer d’abord deux sortes d’idées ; colles que nous acquérons par les sens, et les idées purement intellectuelles que nous tirons de celles-ci par la réflexion. Parmi les idées que nous acquérons directement par nos sens, on distinguerait celles qui expriment l’objet de la sensation, d’avec celles qui expriment la sensation même ; par exemple, l’idée d’étendue ou de couleur et celle de voir : il faudrait de plus faire attention aux mots qui étant pris en différens sens expriment à la fois la sensation et son objet, comme les mots de lumière, de chaleur, de couleur, de son, etc., et ainsi des autres. On formerait ensuite une espèce d’échelle sur deux colonnes, l’une pour les objets des sensations, l’autre pour les sensations mêmes ; dans l’une de ces colonnes, les mots qui expriment des sensations également simples quoique différentes, comme voir, entendre, toucher, goûter, odorer[1], se trouveraient sur la même ligne, et au-dessous de ces mots l’idée générale de sen*sution, qui leur est commune, et celle d’existence qui en dérive. On placerait de même dans l’auti e colonne les objets de nos sensations, relativement au nombre plus ou moins grand de propriétés qu’on y considère et d’idées qu’ils renferment ; par

  1. Je dis odorer et non pas sentir, parce que ce dernier mot aurait un sens équivoque.