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DE PHILOSOPHIE.

puisque c’est une idée simple, ni qu’on en explique la formation, puisque c’est une idée directe et primitive que l’esprit acquiert tout d’un coup par les sens ; mais la manière dont nous formons les idées simples de sensation et d’existence, mérite l’analyse du philosophe.

Cette analyse nous fera connaître que le mot sensation, pris abstractivement, n’exprime proprement aucune idée, mais que ce mot est seulement une expression commune à toutes les idées que nous recevons par les sens. Ces idées n’ont rien de commun entre elles en tant qu’idées (car qu’y a-t-il de commun, par exemple, entre voir et entendre), mais seulement en tant qu’elles sont occasionées par l’impression que reçoivent certaines parties de notre corps.

Nous verrons ensuite que la notion abstraite d’existence se forme d’abord en nous par le sentiment du moi qui résulte de nos sensations et de nos pensées, que de là nous regardons ce sentiment du moi, comme pouvant se séparer du sujet dans lequel il se trouve, sans que ce sujet soit anéanti ; et que par ce moyen il nous reste l’idée abstraite d’existence, que nous appliquons ensuite aux êtres différens de nous, qui nous paraissent occasioner nos sensations.

Voilà un exemple abrégé de la manière dont le philosophe parvient à développer la formation de certaines idées abstraites générales, trop simples pour être définies, mais trop abstraites pour être des notions directes et primitives.

Un des principaux usages de ce développement est de nous garantir de l’erreur oii nous pourrions tomber en regardant les objets des idées abstraites comme existant réellement hors de nous ; erreur que n’ont pas évité des sectes entières de philosophes, qui ne faisant point attention à la génération de idées, se sont persuadé que l’existence, par exemple, dans les objets animés, était différente de la sensation ; que de même il existait hors de l’esprit quelque chose qui était l’homme en général, le corps en général, la vertu, le vice en général, et ainsi du reste ; au lieu qu’il n’existe réellement hors de nous que des êtres particuliers, qui possèdent ces propriétés que nous détachons par l’esprit du sujet où elles se trouvent, en les considérant séparément des autres propriétés auxquelles elles sont unies dans ce même sujet.

Je dirai plus, cette méthode de fixer les idées en développant leur formation, doit être souvent préférée en philosophie, à ce qu’on appelle définition proprement dite, même dans les cas où il s’agit de définir ; il en résulte un plus grand jour répandu sur les idées mêmes. En effet l’esprit reçoit d’abord par les sens d’une manière directe et immédiate les idées composées, et en