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DE PHILOSOPHIE.

tronc, des branches, des feuilles, je forme l’idée d’arbre, plus ahstraite que celle de cerisier. De là, je compare le cerisier à quelqu’autre corps, comme à du marbre ; je vois qu’il y a encore entre eux quelque chose de commun, savoir d’être étendus, impénétrables, et bornés en tous sens ; j’en forme une nouvelle idée plus abstraite que les deux premières, l’idée de corps. Cette nouvelle idée étant encore composée de trois autres, étendue, impénétrabilité et bornes en tous sens, j’en sépare l’idée d’impénétrabilité, il me reste celle d’une étendue bornée en tous sens, d’où je me forme l’idée abstraite de figure ; de cette dernière idée je sépare encore celle de bornes, il me reste l’idée abstraite d’étendue. J’aurais pu encore parvenir à cette idée abstraite par une autre route, en décomposant autrement l’idée de corps ; car si des trois idées que l’idée de corps renferme, j’en eusse séparé d’abord l’idée de bornes en tous sens, il me serait resté l’idée d’étendue impénétrable, c’est-à-dire de matière, et si de l’idée de matière je sépare ensuite l’idée d’impénétrabilité, je parviens de même à l’idée abstraite d’étendue. Cette idée d’étendue ne peut plus être décomposée, elle n’en renferme pointd’autre qu’elle-même, et à cet égard elle peut être regardée comme une idée abstraite simple, et les idées abstraites d’oii elle a été déduite, comme des idées composées, qui le sont plus ou moins à proportion du nombre des idées simples qu’elles renferment.

Toutes ces idées abstraites, composées de deux ou de plusieurs idées simples, ont besoin d’être définies ; il n’y a que celle d’étendue, et en général les idées abstraites simples qui n’en ont pas besoin, et qu’une définition ne ferait qu’obscurcir.

Avant que d’aller plus loin, remarquons, d’après le détail même où nous venons d’entrer, qu’il y a dans les langues bien plus de mots qu’on ne croit, qui expriment des idées abstraites ; de ce nombre sont tous les mots dont on se sert pour exprimer nne qualité ou une manière d’être qui est commune à plusieurs individus, et qui peut être différemment modifiée dans chacun de ces différens individus. Plus la qualité ou la manière d’être qu’on exprime est commune à un grand nombre d’individus, plus l’idée qui l’exprime est abstraite ; ainsi arbre exprime une idée moins abstraite que plante, plante que végétal, végétal que corps, corps qu’étendue. Par la même raison les mots souffrir, sentir, exister expriment par degrés des idées plus abstraites les unes que les autres.

Nous venons de dire que les idées abstraites simples, qui ne peuvent ni ne doivent être définies, sont celles qu’on ne peut décomposer en d’autres. Mais quoiqu’on ne puisse les décompo-