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ÉLÉMENS

nous connaissons, celles dont il est question doivent former une classe particulière, sinon par elles-mêmes, au moins par rapport à nous, et au peu d’usage que nous pouvons en faire pour connaître d’autres vérités.

§ II. Eclaircissement sur ce qui est dit concernant les idées simples et les définitions, pag. 132 et suiv.

Les idées qu’on ne saurait décomposer, ni par conséquent définir, ont été désignées par le nom naturel qui leur convient, celui d’idées simples. Nous en avons distingué de deux espèces ; les unes qui s’acquièrent par nos sens, comme celles des couleurs particulières du son, des odeurs, du froid, du chaud, etc. ; les autres qui s’acquièrent, ou, si l’on veut, qui se forment par abstraction, et que nous avons nommées idées abstraites. Sur quoi nous remarquerons d’abord que ce que nousappelons ici idées abstraites a un sens beaucoup plus étendu, et même presque absolument différent de celui qu’on y attache dans le langage vulgaire de la conversation ; dans ce langage on entend ordinairement par le mot abstrait ce qui demande de la part de l’esprit une forte application ; nous entendons ici par idée abstraite iouie idée par laquelle nous considérons dans un même objet une ou quelques unes seulement de ses propriétés, sans faire attention aux autres. De cette opération de l’esprit, il résulte pour l’ordinaire l’idée générale d’une propriété ou d’une manière d’être commune à plusieurs êtres différens, et cette propriété ou manière d’être n’a point, hors de notre esprit, d’existence isolée, elle n’existe que dans chacun ces êtres auxquels elle appartient, et n’existe dans ces êtres que conjointement avec d’autres propriétés dont la réunion constitue chacun de ces êtres en particulier. Tout ceci se fera aisément sentir par des exemples. Je suppose que je voie un cerisier, qu’ensuite j’en voie deux, trois, et tant qu’on voudra. Je remarque ce que tous ces arbres ont de commun, qui est d’avoir des feuilles d’une même couleur et d’une même forme, de porter des fruits d’une même couleur et d’une même forme, etc., et il en résulte d’abord l’idée exprimée par le mot cerisier ; idée dans laquelle il commence déjà à y avoir une petite abstraction, puisqu’il n’y a point hors de moi, à proprement parler, d’arbre qui soit le cerisier en général, mais qu’il n’existe jamais que tel ou tel cerisier en particulier, et que l’idée générale de cerisier se forme dans mon esprit par celle de la ressemblance que j’aperçois entre les différens arbres de cette espèce. Je compare ensuite un cerisier avec un maronnier, et de la ressemblance que j’aperçois entre l’un et l’autre, qui est d’avoir des racines par lesquelles ils tiennent à la terre, un