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DE PHILOSOPHIE.

p. 31, que ces sortes de principes ne nous apprennent rien à force d’être vrais, et que leur évidence palpable et grossière se réduit à exprimer la même idée par deux termes différens ; l’esprit ne fait alors autre chose que tourner inutilement sur lui-même sans avancer d’un seul pas. Ainsi les axiomes, bien loin de tenir en philosophie le premier rang, n’ont pas même besoin d’être énoncés. Que devons-nous donc penser des auteurs qui en ont donné des démonstrations en forme ? Un mathématicien moderne, célébré de son vivant en Allemagne comme philosophe, commence ses élémens de géométrie par ce théorème, que la partie est plus petite que le tout, et le prouve par un raisonnement si obscur, qu’il ne tiendrait qu’au lecteur d’en douter.

La stérilité et une vérité puérile sont le moindre défaut des axiomes ; quelques uns de ceux même dont on fait le plus d’usage, ne présentent pas toujours des notions justes, et sont capables d’induire en erreur par les fausses applications qu’où en peut faire. Pour n’en citer qu’un seul exemple, que signifie ce principe si commun, qu’il faut exister simplement avant que d’exister de telle ou telle manière ? comme si l’existence réelle n’emportait pas une certaine manière déterminée d’exister ? L’idée d’existence simple, sans qualité ni attribut, est une idée abstraite qui n’est que dans notre esprit, qui n’a point d’objet au dehors ; et un des grands inconvéniens des prétendus principes généraux, est de réaliser les abstractions.

Quels sont donc dans chaque science les vrais principes d’où, l’on doit partir ? Des faits simples et reconnus, qui n’en supposent point d’autres, et qu’on ne puisse par conséquent ni expliquer ni contester ; en physique les phénomènes journaliers que l’observation découvre à tous les yeux ; en géométrie les propriétés sensibles de l’étendue ; en mecanique l’impénétrabilité des corps, source de leur action mutuelle ; en métaphysique le résultat de nos sensations ; en morale les affections premières communes à tous les hommes. La philosophie n’est point destinée à se perdre dans les propriétés générales de l’être et de la substance, dans des questions inutiles sur des notions abstraites, dans des divisions arbitraires et des nomenclatures éternelles ; elle est la science des faits, ou celle des chimères.

Non-seulement elle abandonne à l’ignorante subtilité des siècles barbares ces objets imaginaires de spéculations et de disputes, dont les écoles retentissent encore ; elle s’abstient même de traiter des questions dont l’objet peut être plus réel, mais dont la solution n’est pas plus utile au progrès de nos connaissances. La géométrie, par exemple, étant la même pour toutes les sectes de philosophie, il résulte de cet accord que les vé-