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ÉLÉMENS

IV. MÉTHODE GÉNÉRALE QU’ON DOIT SUIVRE DANS
DES ÉLÉMENS DE PHILOSOPHIE.

Nous n’avons fait jusqu’ici que fixer en général les différens objets qui appartiennent à des élémens de philosophie. Examines plus en détail, ces objets peuvent se réduire à quatre, l’espace, le temps, l’esprit, et la matière. La géométrie se rapporte à l’espace, l’astronomie et l’histoire au temps, la métaphysique à l’esprit, la physique à la matière, la mécanique à l’espace, à la matière et au temps, la morale à l’esprit et à la matière réunis, c’est-à-dire à l’homme, les belles-lettres et les arts à ses goûts et à ses besoins. Mais quelque différentes que ces sciences soient entre elles, soit par leur étendue, soit par leur nature, il est néanmoins des vues générales qu’on doit suivre dans la manière d’en traiter les élémens ; il est ensuite des nuances différentes dans la manière d’appliquer ces vues générales aux élémens de chaque science particulière ; c’est ce qu’il faut développer.

Tous les êtres, et par conséquent tous les objets de nos connaissances, ont entre eux une liaison qui nous échappe ; nous ne devinons dans la grande énigme du monde que quelques syllabes dont nous ne pouvons former un sens. Si les vérités présentaient à notre esprit une suite non interrompue, il n’y aurait point d’élémens à faire, tout se réduirait à une vérité unique dont les autres vérités ne seraient que des traductions différentes. Les sciences seraient alors un labyrinthe immense, mais sans mystère, dont l’intelligence suprême embrasserait les détours d’un coup d’œil, et dont nous tiendrions le fil. Mais ce guide si nécessaire nous manque ; en mille endroits la chaîne des vérités est rompue ; ce n’est qu’à force de soins, de tentatives, d’écarts même que nous pouvons en saisir les branches : quelques unes sont unies entre elles, et forment comme différens rameaux qui aboutissent à un même point ; quelques autres isolées, et comme flottantes, représentent les vérités qui ne tiennent à aucune. (Voyez Éclaircissement, § I, page 135.)

Or quelles sont les vérités qui doivent entrer dans des élémens de philosophie ? Il y en a de deux sortes ; celles qui forment la tête de chaque partie de la chaîne, et celles qui se trouvent au point de réunion de plusieurs branches.

Les vérités du premier genre ont pour caractère distinclif de ne dépendre d’aucune autre, et de n’avoir de preuves que dans elles-mêmes. Plusieurs lecteurs croiront que nous voulons parler des axiomes, et ils se tromperont ; nous les renvoyons à ce que nous en avons dit dans le discours préliminaire de l’Encyclopédie,