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DE D’ALEMBERT.

fectionnée ; où, par un usage adroit des substitutions, il étendait cette méthode à plusieurs classes de fonctions irrationnelles ; où il réduisait à une même expression toutes les imaginaires, sous quelque forme qu’elles se présentent, quelle que soit l’équation à laquelle elles doivent satisfaire ; où il donnait la théorie des points de rebroussement de la seconde espèce, dont plusieurs géomètres célèbres, et Euler lui-même, avaient combattu l’existence ; où enfin il proposait une méthode d’intégrer les équations linéaires d’un ordre quelconque, intégration importante, qui est le fondement de toutes les méthodes d’approximation pour les équations différentielles, et par conséquent, dans l’état actuel de l’analyse, la clef de toutes les questions de l’astronomie-physique. Euler avait publié avant lui une méthode également générale pour ces équations ; mais le géomètre français l’avait aussi prévenu sur quelques autres points.

D’Alembert n’a donné aucun grand ouvrage sur le calcul ; ses mémoires même, à l’exception de ceux que nous venons de citer, et d’un petit nombre d’autres, ont pour objet des questions de mécanique ; mais il a répandu dans tous, de nouvelles méthodes d’analyse, ou des remarques importantes sur les méthodes déjà connues, et on lui doit en grande partie les progrès rapides que le calcul intégral a faits dans ce siècle. Il semblait seulement que l’idée de quelque application utile était nécessaire pour réveiller son génie qui déployait alors toute sa finesse, toute sa profondeur et toute sa fécondité.

C’est ainsi que d’Alembert s’était montré, à trente-deux ans, le digne successeur de Newton, en résolvant le problème de la précession des équinoxes, dont la solution confirme, par une preuve victorieuse, la théorie de la gravitation universelle, en se consacrant comme lui à l’étude des lois mathématiques de la nature, en créant comme lui une science nouvelle, en inventant aussi un nouveau calcul, mais dont personne n’a contesté la découverte à d’Alembert, ou n’a voulu la partager.

Tant qu’il n’a été que géomètre, à peine était-il connu dans sa patrie ; borné à la société de quelques amis, n’ayant jamais vu, parmi les gens en place, que MM. d’Argenson, deux ministres qui, par les agrémens de leur esprit, auraient été des particuliers aimables ; réduit au nécessaire le plus simple, mais heureux du plaisir que donne l’étude, et de sa liberté, il avait conservé sa gaieté naturelle dans toute la naïveté de la jeunesse. Content de son sort, il ne désirait ni fortune ni distinctions ; et il n’en avait point obtenu, parce qu’il est plus commode de les accorder à ceux qui les demandent, qu’à ceux qui savent les mériter. Sa gaieté, des saillies piquantes, le talent de conter et même de jouer ses contes, de la malice dans le ton avec de la bonté dans le caractère, autant de finesse dans la conversation que de simplicité dans la conduite ; toutes ces qualités, en le rendant, par leur réunion, à la fois estimable et amusant, le faisaient rechercher dans le monde. On aimait en lui cette bonhomie, si touchante quand elle se trouve dans les hommes supérieurs, chez qui pourtant elle est bien moins rare que dans ceux qui n’ont que la prétention de l’être.