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DE PHILOSOPHIE.

portance et à la sublimité de l’objet. C’est donc à la raison à établir en ce genre les règles de critique qui serviront à écarler les preuves faibles, à distinguer celles qui pourraient être communes à toutes les religions d’avec celles qui ne sont propres qu’à la seule vraie, à donner enfin aux véritables preuves toute la lumière dont elles sont susceptibles. Ainsi la foi rentre par ce moyen dans le domaine de la philosophie, mais c’est pour jouir d’un triomphe plus assuré.

Trois grands appuis font la base du christianisme ; les prophéties, les miracles, et les martyrs. La philosophie détermine la qualité que ces appuis doivent avoir pour être inébranlables. Elle borne les prophéties à deux conditions essentielles, celle d’avoir précédé indubitablement les faits prédits, et celle de les annoncer avec une clarté qui ne permette pas de se méprendre sur l’accomplissement. Elle prouve qu’il ne peut y avoir de vrais miracles que dans la seule religion véritable ; elle donne les moyens d’apprécier, soit en les expliquant, soit en les niant, les prétendus prodiges dont les fausses religions s’appuient. Enfin le sage qui n’ignore pas que l’erreur a ses martyrs, remarque en mcrue temps que l’avantage de la vérité doit être d’en avoir un plus grand nombre ; ainsi pour distinguer ceux qui ont donné leur vie par conviction de ceux qui l’ont prodiguée par fanatisme, il n’établit point d’autre règle que celle de compter les suffrages.

Sur ces différens objets, le philosophe se contente d’établir les principes, et en laisse aux théologiens l’usage et l’application ; ce détail serait étranger à âes élémens de philosophie qui ne doivent contenir que des germes de vérités premières, sans mélange et sans controverse ; les preuves de la religion ont d’ailleurs été développées par un si grand nombre d’écrivains, que les lumières de la philosophie semblent n’avoir plus rien à y ajouter, et que de nouveaux écrits sur ce sujet seraient plus louables que nécessaires.

Mais un objet qui intéresse et qui regarde particulièrement le philosophe, c’est de distinguer avec soin les vérités de la foi d’avec celles de la raison, et de fixer les limites qui les séparent. Faute d’avoir fait cette distinction si nécessaire, d’un côté quelques grands génies sont tombés dans l’erreur, de l’autre les défenseurs de la religion ont quelquefois supposé trop légèrement qu’on lui portait atteinte. Cette discussion nous écarterait trop de notre sujet, et mérite par son importance d’être la matière d’un écrit particulier.