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DE PHILOSOPHIE.

ses côtés à la philosophie, mais les deux autres s’en rapprochent par quelques unes des faces sous lesquelles on peut les envisager. La science des faits de la nature est un des grands objets du philosophe : non pour remonter à leur première cause, ce qui est presque toujours impossible, mais pour les combiner, les comparer, les rappeler à différentes classes, expliquer enfin les uns par les autres, et les appliquer à des usages sensibles. La science des faits historiques tient à la philosophie par deux endroits, par les principes qui servent de fondement à la certitude historique, et par l’utilité qu’on peut tirer de l’histoire. Les hommes placés sur la scène du monde sont appréciés par le sage comme témoins, ou jugés comme acteurs ; il étudie l’univers moral comme le physique, dans le silence des préjugés ; il suit les écrivains dans leur récit avec la même circonspection que la nature dans ses phénomènes ; il observe les nuances qui distinguent le vrai historique du vraisemblable, le vraisemblable du fabuleux ; il reconnaît les différens langages de la simplicité, de la flatterie, de la prévention et de la haine ; il en fixe les caractères ; il détermine quels doivent être, suivant la nature des faits, les divers degrés de force dans les témoignages, et d’autorité dans les témoins. Éclairé par ces règles aussi fines que sûres, c’est principalement pour connaître les hommes avec qui il vit, qu’il étudie ceux qui ont vécu. Pour le commun des lecteurs, l’histoire est l’aliment de la curiosité ou le soulagement de l’ennui ; pour lui elle n’est qu’un recueil d’expériences morales faites sur le genre humain ; recueil qui serait plus court et plus complet s’il n’eût été fait que par des sages, mais qui, tout informe qu’il est, renferme encore les plus grandes leçons ; comme le recueil des observations médicinales de tous les âges, toujours augmenté et toujours imparfait, forme néanmoins la partie la plus essentielle de l’art de guérir.

Les vérités de sentiment appartiennent au goût ou à la morale, et sous ces deux points de vue, elles présentent à la philosophie des objets importans de méditation. Les principes de morale sont liés au système général de la société, à l’avantage commun du tout et des parties qui le composent. La nature qui a voulu que les hommes vécussent unis, les a dispensés du soin de chercher par le raisonnement les règles suivant lesquelles ils doivent se conduire les uns par rapport aux autres ; elle leur fait connaître ces règles par une espèce d’inspiration, et les leur fait goûter par le plaisir intérieur qu’ils éprouvent à les suivre, comme elle les porte à perpétuer leur espèce par la volupté qu’elle y attache. Elle conduit donc la multitude par le charme de l’impression, la seule espèce d’impulsion qui lui convienne ; mais elle laisse au