Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/164

Cette page n’a pas encore été corrigée
124
ÉLÉMENS

qu’il ne soit ni opprimé par ses ennemis, ni abandonné ou dégradé par ses auteurs. Mais soit que nos contemporains aient l’avantage d’achever heureusement une si grande entreprise, ou que l’honneur en soit réservé à la génération suivante et à des temps plus favorables, il sera permis au moins de mettre sous les yeux des gens de lettres les projets qui peuvent tendre à l’améliorer. Dans la multitude des vérités que l’Encyclopédie embrasse, et qu’en vain on chercherait à saisir toutes ensemble, il en est qui s’élèvent et qui dominent sur les autres, comme quelques pointes de rochers au milieu d’une mer immense. Ces vérités qu’il importe le plus de connaître, étant réunies et rapprochées dans des élémens de philosophie qui serviraient à l’Encyclopédie comme d’introduction, l’utilité de ce grand ouvrage en deviendrait sans doute plus générale et plus assurée. Entrons làdessus dans quelque détail.

L’histoire générale et raisonnée des sciences et des arts renferme quatre grands objets : nos connaissances, nos opinions, nos disputes, et nos erreurs.

L’histoire de nos connaissances nous découvre nos richesses, ou plutôt notre indigence réelle. D’un côté elle humilie l’homme en lui montrant le peu qu’il sait, de l’autre elle l’élève et l’encourage, ou elle le console du moins, en lui développant les usages multipliés qu’il a su faire d’un petit nombre de notions claires et certaines.

L’histoire de nos opinions nous fait voir comment les hommes, tantôt par nécessité, tantôt par impatience, ont substitué avec des succès divers la vraisemblance à la vérité ; elle nous montre comment ce qui d’abord n’était que probable, est ensuite devenu vrai à force d’avoir été remanié, approfondi, et comme épuré par les travaux successifs de plusieurs siècles ; elle offre à notre sagacité et à celle de nos descendans des faits à vérifier, des vues à suivre, des conjectures à approfondir, des connaissances commencées à perfectionner.

L’histoire de nos disputes montre l’abus des mots et des notions vagues, l’avancement des sciences retardé par des questions de nom, les passions sous le masque du zèle, l’obstination sous le nom de fermeté : elle nous fait sentir combien les contestations sont peu faites pour apporter la lumière, combien même, lorsqu’elles roulent sur certains objets, elles sont turbulentes et dangereuses ; cette étude, la moins utile pour augmenter nos connaissances réelles, devrait être la plus propre à nous rendre sages ; mais, sur cela comme sur tout le reste, l’exemple des autres est toujours perdu pour nous.

Enfin l’histoire de nos erreurs les plus remarquables, soit