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DE PHILOSOPHIE.

de changer d’avis ; et dès qu’ils ont pris une fois la peine de revenir sur leurs pas, ils regardent et reçoivent un nouveau système d’idées comme une sorte de récompense de leur courage et de leur travail. Ainsi depuis les principes des sciences profanes jusqu’aux fondemens de la révélation, depuis la métaphysique jusqu’aux matières de goût, depuis la musique jusqu’à la morale, depuis les disputes scolastiques des théologiens jusqu’aux objets du commerce, depuis les droits des princes jusqu’à ceux des peuples, depuis la loi naturelle jusqu’aux lois arbitraires des nations, en un mot depuis les questions qui nous touchent davantage jusqu’à celles qui nous intéressent le plus faiblement, tout a été discuté, analysé, agité du moins. Une nouvelle lumière sur quelques objets, une nouvelle obscurité sur plusieurs, a été le fruit ou la suite de cette effervescence générale des esprits, comme l’effet du flux et reflux de l’Océan est d’apporter sur le rivage quelques matières, et d’en éloigner les autres.

II. DESSEIN DE CET OUVRAGE.

En observant le tableau que nous venons de présenter, il semble que la raison se soit comme reposée durant plus de mille ans de barbarie, pour manifester ensuite son réveil et son action par des efforts réitérés et puissaus. Ces révolutions de l’esprit humain, ces espèces de secousses qu’il reçoit de temps en temps de la nature, sont pour un spectateur philosophe un objet agréable, et surtout instructif. Il serait donc à souhaiter que nous en eussions un tableau exact à chaque époque. Si cette partie intéressante de l’histoire du monde eut été moins négligée, les sciences n’auraient pas avancé si lentement, les hommes ayant sans cesse devant leurs yeux les progrès ou le travail de leurs prédécesseurs, chaque siècle, par une émulation naturelle, eût été jaloux d’ajouter quelque chose au dépôt que lui auraient laissé les siècles précédens ; il en eût été de chaque science comme de l’astronon mie, qui s’enrichit et se perfectionne tous les jours des observations nouvelles ajoutées aux anciennes.

Une société de gens de lettres a essayé de faire pour notre siècle et pour les suivans, ce que nous reprochons avec raison a nos ancêtres de n’avoir pas fait pour nous. Le plan de l’Encyclopédie a été formé dans cette vue. Nous avons tâché de faire sentir ailleurs[1] les secours que nos contemporains et nos descendans en pourront tirer, quand ce ne serait que pour en faire une meilleure. Ce que le public a déjà vu de cet ouvrage, fait désirer

  1. Discours préliminaire de l’Encyclopédie et Préface du troisième volume du même ouvrage.