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ÉLÉMENS

en promettre un plus grand encore. C’est au temps à fixer l’objet, la nature et les limites de cette révolution, dont notre postérité connaîtra mieux que nous les’inconvéniens et les avantages.

Tout siècle qui pense bien ou mal, pourvu qu’il croie penser, et qu’il pense autrement que le sièc’e qui l’a précédé, se pare du titre de philosophe ; comme on a souvent honoré du titre de sages ceux qui n’ont eu d’autre mérite que de contredire leurs contemporains. Notre siècle s’est donc appelé par excellence le siècle de la philosophie ; plusieurs écrivains lui en ont donné le nom, persuadés qu’il en rejaillirait quelque éclat sur eux ; d’autres lui ont refusé cette gloire dans l’impuissance de la partager.

Si on examine sans prévention l’état actuel de nos connaissances, on ne peut disconvenir des progrès de la philosophie parmi nous. La science de la nature acquiert de jour en jour de nouvelles richesses ; la géométrie, en reculant ses limites, a porté son flambeau dans les parties de la physique qui se trouvaient le plus près d’elle ; le vrai système du monde a été connu, développé et perfectionné ; la même sagacité qui s’était assujéti les mouvemens des corps célestes, s’est portée sur les corps qui nous environnent ; en appliquant la géométrie à l’étude de ces corps, ou en essayant de l’y appliquer, on a su apercevoir et fixer les avantages et les abus de cet emploi ; en un mot, depuis la terre jusqu’à Saturne, depuis l’histoire des cieux jusqu’à celle des insectes, la physique a changé de face. Avec elle presque toutes es autres sciences ont pris une nouvelle forme, et elles le devaient en effet. Quelques réflexions vont nous en convaincre.

L’étude de la nature semble être par elle-même froide et tranquille, parce que la satisfaction qu’elle procure est un sentiment uniforme, continu et sans secousses, et que les plaisirs, pour être vifs, doivent être séparés par des intervalles et marqués par des accès. Néanmoins l’invention et l’usage d’une nouvelle méthode de philosopher, l’espèce d’enthousiasme qui accompagne les découvertes, une certaine élévation d’idées que produit en nous le spectacle de l’univers ; toutes ces causes ont du exciter dans les esprits une fermentation vive ; cette fermentation agissant en tout sens par sa nature, s’est portée avec une espèce de violence sur tout ce qui s’est offert à elle, comme un fleuve qui a brisé ses digues. Or les hommes ne reviennent guère sur un objet qu’ils avaient négligé depuis long-temps, que pour réformer bien ou mal les idées qu’ils s’en étaient faites. Plus ils sont lents à secouer le joug de l’opinion, plus aussi, dès qu’ils l’ont brisé sur quelques points, ils sont portés à le briser sur tout le reste ; car ils fuient encore plus l’embarras d’examiner, qu’ils ne craignent