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AVERTISSEMENT.

meurs de tout le bas peuple du Parnasse : je fermerai d’un seul mot la bouche à ces versificateurs subalternes : si M. de Voltaire n’est pas de mon avis, j’ai tort. Voilà, je crois, une autorité qu’ils ne récuseront pas, mais dont, à la vérité, je ne crains guère que la décision soit contre moi. Car que fais-je autre chose dans ces deux écrits que de mettre à sa vraie place toute poésie pleine de mots et vide de choses ? Et combien de l’ois cet illustre écrivain n’a-t-il pas témoigné son dégoût et son mépris pour une poésie de cette espèce, pour celle qu’Horace appelle si bien nugœ canorœ, des bagatelles sonores ? Boileau lui même, quelque mérite qu’il attachât, avec justice, au soin et à l’élégance de la versification, et à tout ce qui concerne le mécanisme de l’art, Boileau n’a-t-il pas dit,

Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose ;

et par-là n’en a-t-il pas fait un précepte ? Il ne s’agit pas de savoir s’il s’y est toujours conformé lui-même, surtout dans quelques unes de ses satires j car il ne suffit pas que le vers dise quelque chose, il faut encore que ce soit quelque chose qui vaille la peine d’être dit. Mais le précepte n’en est pas moins réel, moins avoué de nos excellens poëtes ; et c’en est assez, ce me semble, pour ma justification.

L’auguste monarque dont nous avons déjà parlé, et à qui la versification sert de délassement dans le petit nombre de ses heures de loisir, a fait l’honneur au premier de nos deux écrits sur la poésie, de l’attaquer par des réflexions aussi solides qu’ingénieuses, dont il a bien voulu nous faire part. Personne cependant n’était moins intéressé que lui à critiquer notre opinion ; car personne n’a mis dans ses vers plus d’idées et de philosophie. Mais il a cru que l’on en voulait à la poésie en général, et on se flatte de l’avoir pleinement détrompé sur ce sujet.

Le morceau sur l’histoire, lorsqu’on en lit la lecture à une assemblée publique de l’Académie, parut être assez bien reçu ; on serait très flatté qu’il en lût de même à l’impression. L’Apologie de l’étude (pourquoi ne pas dire les choses comme elles sont ?) n’a pas été aussi licureuse dans l’assemblée où elle fut lue. Peut-être le public n’a-t-il fait en cela que justice ; peut-être aussi l’auteur avait-il mal choisi le temps et le lieu pour cette lecture ; peut être quelques applications qu’on s’est avisé de faire, quoiqu’il n’y eût jamais pensé, ont-elles contribué à mal disposer ses auditeurs. Quoi qu’il en soit, comme on a écrit ce morceau avec assez de soin, et que plusieurs personnes, peut être trop indulgentes, l’ont trouvé digne d’un meilleur sort, on le remet ici sous les yeux des juges. S’il arrive très-souvent au public de siiiler dans le cabinet ce qu’il a applaudi étant assemblé, il lui arrive aussi, quoique bien plus rarement, de goûter à un second examen ce qu’il avait peu approuvé d’abord ; l’auteur souhaite de se trouver dans ce dernier cas.

Il n’ose pris se flatter de la même indulgence de la part de ceux qui se croiront offensés par le morceau sur l’Harmonie des langues, c’est-