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iv
ÉLOGE.

verte des premiers principes des sciences, et que cependant, jusqu’à d’Alembert, on n’avait pas encore bien expliqué.

Deux ans après son entrée à l’académie, il publia son traité de Dynamique.

Dans la science du mouvement, il faut distinguer deux sortes de principes ; les uns sont des vérités de pure définition, les autres sont ou des faits donnés par l’observation, ou des lois générales déduites de la nature des corps considérés comme impénétrables, indifférens au mouvement, et susceptibles d’en recevoir : de ces derniers principes, celui de la décomposition des forces était le seul vraiment général qui fût connu jusqu’alors ; et joint à ces vérités de définition, sur lesquelles Huyghens et Newton n’avaient rien laissé à découvrir, il avait suffi pour établir leurs sublimes théories, et pour résoudre ces problèmes de statique, si célèbres dans le commencement de ce siècle. Mais si les corps ont une forme finie, si on les imagine liés entre eux par des fils flexibles, ou par des verges inflexibles, et qu’on les suppose en mouvement, alors ces principes ne suffisent plus, et il fallait en inventer un nouveau ; d’Alembert le découvrit, et il n’avait que vingt-six ans : ce principe consiste à établir l’égalité, à chaque instant, entre les changemens que le mouvement du corps a éprouvés, et les forces qui ont été employées à les produire, ou, en d’autres termes, à séparer en deux parties l’action des forces motrices, à considérer l’une comme produisant seule le mouvement du corps dans le second instant, et l’autre comme employée à détruire celui qu’il avait dans le premier : ce principe si simple, qui réduisait à la considération de l’équilibre toutes les lois du mouvement, a été l’époque d’une grande révolution dans les sciences physico-mathématiques. À la vérité, plusieurs des problèmes résolus dans le traité de Dynamique, l’avaient déjà été par des méthodes particulières ; différentes en apparence pour chaque problème, elles n’étaient sans doute réellement qu’une seule et même méthode, sans doute elles renfermaient le principe général qui y était caché, mais personne n’avait pu l’y découvrir : et si on refusait, sous ce prétexte, à d’Alembert la juste admiration qu’il mérite, on pourrait, avec autant de raison, faire honneur à Huyghens des découvertes de Newton, et accorder à Wallis la gloire que Leibnitz et Newton se sont disputée.

Les découvertes successives qui forment les sciences, naissent les unes des autres ; celle qui appartient exclusivement à un seul homme, est due à son génie aidé des travaux de ceux qui l’ont précédé, lui ont aplani la carrière, et ne lui ont plus laissé qu’un dernier obstacle à vaincre : mais parmi ces découvertes, il en est qui, par leur étendue, leur influence sur le progrès général des sciences, la nombreuse suite de théories nouvelles qui n’en sont que le développement, semblent former une classe particulière, et mériter à leur inventeur un rang à part dans le nombre déjà si petit des hommes de génie.

Telle a été celle du principe de d’Alembert ; déjà, en 1744, il l’avait appliqué à la théorie de l’équilibre et du mouvement des fluides, et tous les problèmes résolus jusqu’alors par les géomètres, étaient devenus en quelque sorte des corollaires de ce principe : mais