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DE L’ENCYCLOPÉDIE.

si grand nombre d’éditions rapides ; cette encyclopédie qu’on vient de traduire tout récemment en italien, et qui, de notre aveu, mérite en Angleterre et chez l’étranger les honneurs qu’on lui rend, n’eût peut-être jamais été faite, si avant qu’elle parût en anglais, nous n’avions eu dans notre langue des ouvrages où Chambers a puisé sans mesure et sans choix la plus grande partie des choses dont il a composé son dictionnaire. Qu’en auraient donc pensé nos Français sur une traduction pure et simple ? Il eut excité l’indignation des savans et le cri du public, à qui on n’eût présenté sous un titre fastueux et nouveau, que des richesses qu’il possédait depuis long-temps.

Nous ne refusons point à cet auteur la Justice qui lui est due. Il a bien senti le mérite de l’ordre encyclopédique, ou de la chaîne par laquelle on peut descendre sans interruption des premiers principes d’une science ou d’un art jusqu’à ses conséquences les plus éloignées, et remonter de ses conséquences les plus éloignées jusqu’à ses premiers principes ; passer imperceptiblement de cette science ou de cet art à un autre, et, s’il est permis de s’exprimer ainsi, faire sans s’égarer le tour du monde littéraire. Nous convenons avec lui que le plan et le dessein de son dictionnaire sont excellens, et que si l’exécution en était portée à un certain degré de perfection, il contribuerait plus lui seul aux progrès de la vraie science que la moitié des livres connus. Mais, malgré toutes les obligations que nous avons à cet auteur, et l’utilité considérable que nous avons retirée de son travail, nous n’avons pu nous empêcher de voir qu’il restait beaucoup à y ajouter. En effet, conçoit-on que tout ce qui concerne les sciences et les arts puisse être enfermé en deux volumes in-folio ? La nomenclature d’une matière si étendue en fournirait un elle seule, si elle était complète. Combien donc ne doit-il pas y avoir dans son ouvrage d’articles omis ou tronqués ?


Ce ne sont point ici des conjectures. La traduction entière du Chambers nous a passé sous les yeux, et nous avons trouvé une multitude prodigieuse de choses à désirer dans les sciences ; dans les arts libéraux, un mot où il fallait des pages, et tout à suppléer dans les arts mécaniques. Chambers a lu des livres, mais il n’a guère vu d’artistes ; cependant il y a beaucoup de choses qu’on n’apprend que dans les ateliers. D’ailleurs, il n’en est pas ici des omissions comme dans un autre ouvrage. Un article omis dans un dictionnaire commun le rend seulement imparfait. Dans une encyclopédie, il rompt l’enchaînement, et nuit à la forme et au fond ; et il a fallu tout l’art d’Ephraïm Chambers pour pallier ce défaut.