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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

essentiellement d’exposer en raccourci ce que notre siècle ajoute de lumières à celles des siècles précédens ; d’apprendre à se passer des originaux, et d’arracher par conséquent ces épines que nos adversaires voudraient qu’on laissât ? Combien de lectures inutiles dont nous serions dispensés par de bons extraits !

Nous avons donc cru qu’il importait d’avoir un dictionnaire qu’on put consulter sur toutes les matières des arts et des sciences, et qui servît autant à guider ceux qui se sentent le courage de travailler à l’instruction des autres, qu’à éclairer ceux qui ne s’instruisent que pour eux-mêmes.

Jusqu’ici personne n’avait conçu un ouvrage aussi grand, ou du moins personne ne l’avait exécuté* Leibnitz, de tous les savans le plus capable d’en sentir les difficultés, désirait qu’on les surmontât. Cependant on avait des encyclopédies, et Leibnitz ne l’ignorait pas, lorsqu’il en demandait une.

La plupart de ces ouvrages parurent avant le siècle dernier, et ne furent pas tout-à-fait méprisés. On trouva que s’ils n’annonçaient pas beaucoup de génie, ils marquaient au moins du travail et des connaissances. Mais que serait-ce pour nous que ces encyclopédies ? quel progrès n’a-t-on pas fait depuis dans les sciences et dans les arts ? combien de vérités découvertes aujourd’hui, qu’on n’entrevoyait pas alors ? La vraie philosophie était au berceau ; la géométrie de l’infini n’était pas encore ; la physique expérimentale se montrait à peine ; il n’y avait point de dialectique ; les lois de la saine critique étaient entièrement ignorées. Les auteurs célèbres en tout genre dont nous avons parlé dans ce discours, et leurs illustres disciples, ou n’existaient pas, ou n’avaient pas écrit. L’esprit de recherche et d’émulation n’animait pas les savans ; un autre esprit moins fécond peut-être, mais plus rare, celui de justesse et de méthode, ne s’était point soumis les différentes parties de la littérature ; et les académies, dont les travaux ont porté si loin les sciences et les arts, n’étaient pas instituées.

Si les découvertes des grands hommes et de compagnies savantes dont nous venons de parler offrirent dans la suite de puissans secours pour former un dictionnaire encyclopédique ; il faut avouer aussi que l’augmentation prodigieuse des matières rendit à d’autres égards un tel ouvrage beaucoup plus difficile. Mais ce n’est point à nous à juger si les successeurs des premiers encyclopédistes ont été hardis ou présomptueux ; et nous les laisserions tous jouir de leur réputation, sans en excepter Ephraïm Chambers le plus connu d’entre eux, si nous n’avions des raisons particulières de peser le mérite de celui-ci.

L’encyclopédie de Chambers dont on a publié à Londres un