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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

morceau d’autant plus précieux, que l’auteur n’avait en ce genro aucun modèle ni parmi les anciens, ni parmi nous. Son histoire de Charlts XII, par la rapidité et la noblesse du style, est digne du héros qu’il avait à peindre : ses pièces fugitives, supérieures à toutes celles que nous estimons le plus, sutitiraient par leur nombre et par leur mérite pour immortaliser plusieurs écrivains. Que ne puis-je, en parcourant ici ses nombreux et admirables ouvrages, payer à ce génie rare le tribut d’éloges qu’il mérite, qu’il a reçu tant de fois de ses compatriotes, des étrangers et de ses eniiemis, et auquel la postérité mettra le comble quand il ne pourra plus en jouir !

Ce ne sont pas là nos seules richesses. Un écrivain judicieux, aussi bon citoyen que grand philosophe, nous a donné sur les principes des lois un ouvrage décrié par quelques Français, applaudi par la nation, et admiré de toute l’Europe ; ouvrage qui sera un monument immortel du génie et de la vertu de son auteur, et des progrès de la raison dans un siècle, dont le milieu sera une époque mémorable dans l’histoire de la philosophie. D’excellens auteurs ont écrit l’histoire ancienne et moderne ; des esprits justes et éclairés l’ont approfondie : la comédie a acquis un nouveau genre, qu’on aurait tort de rejeter, puisqu’il en résulte un plaisir de plus, et que d’ailleurs ce genre même n’a pas été aussi inconnu des anciens qu’on voudrait nous le persuader ; enfin nous avons plusieurs romans qui nous empêchent de regretter ceux du dernier siècle.

Les beaux arts ne sont pas moins en honneur dans notre nation. Si j’en crois les amateurs éclairés, notre école de peinture est la première de l’Europe, et plusieurs ouvrages de nos sculpteurs n’auraient pas été désavoués par les anciens. La musique est peut-être de tous ces arts celui qui a fait depuis quinze ans le plus de progrès parmi nous. Grâces aux travaux d’un génie mâle, hardi et fécond, les étrangers qui ne pouvaient souffrir nos symphonies, commencent à les goûter, et les Français paraissent enfin persuadés que Lulli avait laissé dans ce genre beaucoup à faire. Rameau, en poussant la pratique de son art à un si haut degré de perfection, est devenu tout ensemble le modèle et l’objet de la jalousie d’un grand nombre d’artistes, qui le décrient en s’efforçantde l’imiter. Mais ce qui le distingue plus particulièrement, c’est d’avoir réfléchi avec beaucoup de succès sur la théorie de ce même art ; d’avoir su trouver dans la base fondamentale le principe de l’harmonie et de la mélodie ; d’avoir réduit par ce moyen à des lois plus certaines et plus simples, une science livrée avant lui à des règles arbitraires ou dictées par une expérience aveugle. Je saisis avec empressement l’occasion de célébrer cet artiste phi-