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DE L’ENCYCLOPÉDIE.

diesse a été justifiée par le succès le plus général et le plus flatteur. Mais, semblable à tous les écrivains originaux, il a laissé bien loin derrière lui ceux qui ont cru pouvoir l’imiter.

L’auteur de Vhistoire naturelle a suivi une route toute différente. Rival de Platon et de Lucrèce, il a répandu dans son ouvrage, dont la réputation croît de jour en jour, cette noblesse et cette élévation de style qui sont si propres aux matières philosophiques, et qui dans les écrits du sage doivent être la peinture de son âme.

Cependant la philosophie, en songeant à plaire, paraît n’avoir pas oublié qu’elle est principalement faite pour instruire ; c’est par cette raison que le goût des systèmes, plus propre à flatter l’imagination qu’à éclairer la raison, est aujourd’hui presque absolument banni des bons ouvrages. Un de nos meilleurs philosophes, l’abbé de Condillac, semble lui avoir porté les derniers coups. L’esprit d’hypothèse et de conjecture pouvait être autrefois fort utile, et avait même été nécessaire pour la renaissance de la philosophie, parce qu’alors il s’agissait encore moins de bien penser que d’apprendre à penser par soi-même. Mais les temps sont changés, et un écrivain qui ferait parmi nous l’éloge des systèmes viendrait trop tard. Les avantages que cet esprit peut procurer maintenant sont en trop petit nombre pour balancer les inconvéniens qui en résultent ; et si on prétend prouver l’utilité des systèmes par un très-petit nombre de découvertes qu’ils ont occasionées autrefois, on pourrait de même conseiller à nos géomètres de s’appliquer à la quadrature du cercle, parce que les efforts de plusieurs mathématiciens pour la trouver, nous ont produit quelques théorèmes. L’esprit de système est dans la physique ce que la métaphysique est dans la géométrie. S’il est quelquefois nécessaire pour nous mettre dans le chemin de la vérité, il est presque toujours incapable de nous y conduire par lui-même. Eclairé par l’observation de la nature, il peut entrevoir les causes des phénomènes ; mais c’est au calcul à assurer, pour ainsi dire, l’existence de ces causes, en déterminant exactement les effets qu’elles peuvent produire, et en comparant ces effets avec ceux que l’expérience nous découvre. Toute hypothèse, dénuée d’un tel secours, acquiert rarement ce degré de certitude qu’on doit toujours chercher dans les sciences naturelles, et qui néanmoins se trouve si peu dans ces conjectures frivoles qu’on honore du nom de sjsthnes. S’il ne pouvait y en avoir que de cette espèce, le principal mérite du physicien serait, à proprement parler, d’avoir l’esprit de système et de n’en faire jamais. À l’égard de l’usage dans les autres sciences, mille expériences prouvent combien il est dangereux.