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DE L’ENCYCLOPÉDIE.

leur siècle, travaillent presque toujours en pure perle pour leur siècle même ; c’est aux âges sui ans qu’il est réservé de recueillir le fruit de leurs lumières. Aussi les resiaurateurs des sciences ne jouissent-ils presque jamais de toute la gloire qu’ils méritent ; des esprits fort inférieurs la leur arrachent, parce que les grands hommes se livrent à leur génie, elles hommes médiocres à celui de leur nation. Il est vrai que le témoignage que la supériorité ne peut s’empêcher de se rendre à elle-même, suffit pour la dédommager des suffrages vulgaires : elle se nourrit de sa propre substance, et cette réputation dont on est si avide, ne sert souvent qu’à consoler la médiocrité des avantages que le talent a sur elle. On peut dire en effet que la renommée qui publie tout, raconte plus souvent ce qu’elle voit, et que les poètes qui lui ont donné cent bouches, devaient bien aussi lui donner un bandeau.

La philosophie, qui forme le goût dominant de notre siècle, semble, par les progrès qu’elle fait parmi nous, vouloir réparer le temps qu’elle a perdu, et se venger de l’espèce de mépris cjue lui avaient marqué nos pères. Ce mépris est aujourd’hui retombe sur l’érudition, et n’en est pas plus juste pour avoir changé d’objet. On s’imagine que nous avons tiré des ouvrages des anciens tout ce qu’il nous importait de savoir, et sur ce fondement on dispenserait volontiers de leur peine ceux qui vont encore les consulter. Il semble qu’on regarde l’antiquité comme un oracle qui a tout dit, et qu’il est inutile d’interroger ; et on ne fait guère plus de cas aujourd’hui de la restitution d’un passage que de la découverte d’un petit rameau de veine dans le corps humain. Mais comme il serait ridicule de croire qu’il n’y a plus rien à découvrir dans l’anatomie, parce que les anatomistes se livrent quelquefois à des recherches inutiles en apparence, et souvent utiles par leurs suites, il ne serait pas moins absurde de vouloir interdire l’érudition, sous prétexte des recherches peu importantes auxquelles nos savans peuvent s’abandonner. C’est être ignorant ou présomptueux de croire que tout soit vu dans quelque matière que ce puisse être, et que nous n’ayons plus aucun avantage à tirer de l’étude et de la lecture des anciens.

L’usage de tout écrire aujourd’hui en langue vulgaire, a contribué sans doute à fortifier ce préjugé, et peut-être est plus pernicieux que le préjugé même. Notre langue s’étant répandue par toute l’Europe, nous avons cru qu’il était temps de la substituer à la langue latine, qui depuis la renaissance des lettres était celle de nos savans. J’avoue qu’un philosophe est beaucoup plus excuable d’écrire en français, qu’un Français de