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DE L’ENCYCLOPÉDIE.

que les écoles ont enfin osé admettre une physique qu’elles s’imaginaient être contraire à celle de Moïse. Newton, il est vrai, a trouvé dans ses contemporains moins de contradiction ; soit que les découvertes géométriques par lesquelles il s’annonça et dont on ne pouvait lui disputer ni la propriété, ni la réalite, eussent accoutumé à l’admiration pour lui, et à lui rendre des hommages qui n’étaient ni trop subits ni trop forcés ; soit que par sa supériorité il imposât silence à l’envie, soit enfin, ce qui paraît plus difficile à croire, qu’il eût affaire à une nation moins injuste que les autres. Il a eu l’avantage singulier de voir sa philosophie généralement reçue en Angleterre de son vivant, et d’avoir tous ses compatriotes pour partisans et pour aduiirateurs. Cependant il s’en fallait bien que le reste de l’Europe fît alors le même accueil à ses ouvrages. Non-seulement ils étaient inconnus en France, mais la philosophie scholaslique y dominait encore, lorsque INewton avait déjà renversé la physique cartésienne ; et les tourbillons étaient détruits avant que nous songeassions à les adopter. Nous avons été aussi long-temps à les soutenir qu’à les recevoir. Il ne faut qu’ouvrir nos livres, pour voir avec surj)rise qu’il n’y a pas encore trente ans qu’on a commencé en France à renoncer au cartésianisme. Le premier qui ait osé parmi nous se déclarer ouvertement newtonien, est l’auteur du discours sur la figure des astres, qui joint à des connaissances géométriques très-étendues, cet esprit philosophique avec lequel elles ne se trouvent pas toujours, et ce talent d’écrire auquel on ne croira plus qu’elles nuisent, quand on aura lu ses ouvrages. Maupertuis a cru qu’on pouvait être bon citoyen sans adopter aveuglément la physique de son pays, et pour attaquer cette physique, il a eu besoin d’un courage dont on doit lui savoir gré. En effet, notre nation, singulièrement avide de nouveautés dans les matières de goût, est, en matière de science, très-attachée aux opinions anciennes. Deux dispositions si contraires en apparence ont leurs principes dans plusieurs causes, et surtout dans cette ardeur de jouir qui semble constituer notre caractère. Tout ce qui est du ressort du sentiment n’est pas fait pour être long-temps cherché, et cesse d’être agréable dès qu’il ne se présente pas tout d’un coup ; mais aussi l’ardeur avec laquelle nous nous y livrons s’épuise bientôt, et l’àme, dégoûtée aussitôtque remplie, vole vers un nouvel objet qu’elle abandonnera de même. Au contraire, ce n’est qu’à force de méditation que l’esprit parvient à ce qu’il cherche ; mais par cette raison il veut jouir aussi long-temps qu’il a cherché, surtout lorsqu’il ne s’agit que d’une philosophie hypothétique et conjecturale, beaucoup plus riante que des calculs et des combi-