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DISCOURS PRÉLIMINAIRE

dans ceux de ses écrits qui sont les plus connus ; et on ne peut guère apprendre ce qu’il pensait sur les différens objets de cette science, que dans les ouvrages de ses disciples. Ainsi comme il n’a cause sur ce point aucune révolution, nous nous abstiendrons de le considérer de ce côté-là.

Ce que Newton n’avait osé, ou n’aurait peut-être pu faire, Locke l’entreprit et l’exécuta avec succès. On peut dire qu’il créa la métaphysique à peu près comme Newton avait créé la physique. Il conçut que les abstractions et les questions ridicules qu’on avait jusqu’alors agitées, et qui avaient fait comme la substance de la philosophie, étaient la partie qu’il fallait surtout proscrire. Il chercha dans ces abstractions et dans les abus des signes les causes principales de nos erreurs, et les y trouva. Pour connaître notre âme, ses idées et ses affections, il n’étudia point les livres, parce qu’ils l’auraient mal instruit : il se contenta de descendre profondément en lui-même ; et après s’être, pour ainsi dire, contemplé long-temps, il ne fît dans son traité de l’entendement humain que présenter aux hommes le miroir dans lequel il s’était vu. En un mot, il réduisit la métaphysique à ce qu’elle doit être en effet, la physique expérimentale de l’âme : espèce de physique très-différente de celle des corps, non-seulement par son objet, mais par la manière de l’envisager. Dans celle-ci on peut découvrir, et on découvre souvent des phénomènes inconnus ; dans l’autre, les faits aussi anciens que le monde existent également dans tous les hommes, tant pis pour qui croit en voir de nouveaux. La métaphysique raisonnable ne peut consister, comme la physique expérimentale, qu’à rassembler avec soin tous ces faits, à les réduire en un corps, à expliquer les uns par les autres, en distinguant ceux qui doivent tenir le premier rang et servir comme de base. En un mot, les principes de la métaphysique, aussi simples que les axiomes, sont les mêmes pour les philosophes et pour le peuple. Mais le peu de progrès que cette science a fait depuis long-temps, montre combien il est rare d’appliquer heureusement ces principes, soit par la difficulté que renferme un pareil travail, soit peut-être aussi par l’impatience naturelle qui empêche de s’y borner. Cependant le titre de métaphysicien, et même de grand métaphysicien, est encore assez commun dans notre siècle ; car nous aimons à tout prodiguer : mais qu’il y a peu de personnes véritablement dignes de ce nom ! Combien y en a-t-il qui ne le méritent que par le malheureux talent d’obscurcir avec beaucoup de subtilité des idées claires, et de préférer dans les notions qu’ils se forment l’extraordinaire au vrai, qui est toujours simple ? Il ne faut pas s’étonner après cela si la plupart de ceux