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DE L’ENCYCLOPÉDIE.

descendans auraient-ils droit, sous ce prétexte, de vouloir oter la gloire du grand œuvre à un chimiste qui en viendrait à bout ? Et l’invention des lunettes en appartiendrait-elle moins à ses auteurs, quand même quelques anciens n’auraient pas cru impossible que nous étendissions un jour la sphère de notre vue ?

D’autres savans croient faire à Newton un reproche beaucoup plus fondé, en l’accusant d’avoir ramené dans la physique les qualités occultes des scholastiques et des anciens philosophes. Mais les savans dont nous parlons sont-ils bien sûrs que ces deux mots, vides de sens chez les scholastiques, et destinés à marquer un être dont ils croyaient avoir l’idée, fussent autre chose chez les anciens philosophes que l’expression modeste de leur ignorance ? Newton qui avait étudié la nature, ne se flattait pas d’en savoir plus qu’eux sur la cause première qui produit les phénomènes ; mais il n’employa pas le même langage, pour ne pas révolter des contemporains qui n’auraient pas manqué d’y attacher une autre idée que lui. Il se contenta de prouver que les tourbillons de Descartes ne pouvaient rendre raison du mouvement des planètes ; que les phénomènes et les lois de la mécanique s’unissaient pour les renverser ; qu’il y a une force par laquelle les planètes tendent les unes vers les autres, et dont le principe nous est entièrement inconnu. Il ne rejeta point l’impulsion ; il se borna à demander qu’on s’en servît plus heureusement qu’on n’avait fait jusqu’alors pour expliquer les mouvemens des planètes : ses désirs n’ont point encore été remplis, et ne le seront peut-être de long-temps. Après tout, quel mal aurait-il fait à la philosophie, en nous donnant lieu de penser que la matière peut avoir des propriétés que nous ne lui soupçonnions pas, et en nous désabusant de la confiance ridicule oii nous sommes de les connaître toutes I

À l’égard de la métaphysique, il paraît que Newton ne l’avait pas entièrement négligée. Il était trop grand philosophe pour ne pas sentir qu’elle est la base de nos connaissances, et qu’il faut chercher dans elle seule des notions nettes et exactes de tout : il paraît même par les ouvrages de ce profond géomètre, qu’il était parvenu à se faire de telles notions sur les principaux objets qui l’avaient occupé. Cependant, soit qu’il fût peu content lui-même des progrès qu’il avait faits dans la métaphysique, soit qu’il crut difficile de donner au genre humain des lumières bien satisfaisantes ou bien étendues sur une science trop souvent incertaine et contentieuse, soit enfin qu’il craignît qu’à l’ombre de son autorité on n’abusât de sa métaphysique comme on avait abusé de celle de Descartes pour soutenir des opinions dangereuses ou erronées, il s’abstint presque absolument d’en parier