Page:D’Alembert - Œuvres complètes, éd. Belin, I.djvu/105

Cette page n’a pas encore été corrigée
67
DE L’ENCYCLOPÉDIE.

par la force centrifuge du tourbillon même : et je ne crains point d’avancer que cette explication de la pesanteur est une âes plus belles et des plus ingénieuses hypothèses que la philosophie ait jamais imaginées. Aussi a-t-il fallu, pour l’abandonner, que les physiciens aient été entraînés comme malgré eux par la théorie des forces centrales, et par des expériences faites long-temps après. Reconnaissons donc que Descartes, forcé de créer une physique toute nouvelle, n’a pu la créer meilleure ; qu’il a fallu, pour ainsi dire, passer par les tourbillons pour arriver au vrai système’du monde ; et que, s’il s’est trompé sur les lois du mouvement, il a du moins deviné le premier qu’il devait y en avoir.

Sa métaphysique, aussi ingénieuse et aussi nouvelle que sa physique, a eu le même sort à peu près ; et c’est aussi à peu près par les mêmes raisons qu’on peut la justifier ; car telle est aujourd’hui la fortune de ce grand homme, qu’après avoir eu des sectateurs sans nombre, il est presque réduit à des apologistes. Il se troiupa sans doute en admettant les idées innées : mais s’il eût retenu de la secte péripatéticienne la seule vérité qu’elle enseignait sur l’origine des idées par les sens, peut-être les erreurs, qui déshonoraient cette vérité par leur alliage, auraient été plus difficiles à déraciner. Descartes a osé du moins montrer aux bons esprits à secouer le joug de la scholastîque, de l’opinion, de l’autorité, en un mot, des préjugés et de la barbarie ; et par cette révolte dont nous recueillons aujourd’hui les fruits, il a rendu à la philosophie un service plus essentiel peut-être que tous ceux qu’elle doit à ses illustres successeurs. On peut le regarder comme un chef de conjurés qui a eu le courage de s’élever le premier contre une puissance despotique et arbitraire, et qui, en préparant une révolution éclatante, a jeté les fondemens d’un gouvernement plus juste et plus heureux qu’il n’a pu voir établi. S’il a fini par croire tout expliquer, il a du moins commencé par douter de tout ; et les armes dont nous nous servons pour le combattre ne lui en appartiennent pas moins, parce que nous les tournons contre lui. D’ailleurs, quand les opinions absurdes sont invétérées, on est quelquefois forcé, pour désabuser le genre humain, de les remplacer par d’autres erreurs, lorsqu’on ne peut mieux faire. L’incertitude et la vanité de l’esprit sont telles, qu’il a toujours besoin d’une opinion à laquelle il se fixe : c’est un enfant à qui il faut présenter un jouet pour lui enlever une arme dangereuse ; il quittera de lui-même ce jouet quand le temps de la raison sera venu. En donnant ainsi le change aux philosophes, ou à ceux qui croient l’être y on leur apprend du moins à se