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Un damné descendant sans lampe,
Au bord d’un gouffre dont l’odeur
Trahit l’humide profondeur,
D’éternels escaliers sans rampe.

Où veillent des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phosphore
Font une nuit plus noire encore
Et ne rendent visibles qu’eux.

Par les plaines boueuses des mauvaises saisons, l’âme

Ouvrira largement ses ailes de corbeaux ;

les lutteurs, l’un à l’autre noués, rouleront ensemble

Dans le ravin hanté des chats-pards et des onces ;

et sur l’humanité maudite descendra la fameuse litanie :

Race de Caïn, dans ton antre
Tremble de froid, pauvre chacal !…

Race d’Abel, tu crois et broutes
Comme les punaises des bois.

Car, dans son cœur saccagé « par la griffe et la dent féroce de la femme », le poète garde seulement le culte apitoyé des pauvres et des meurtris, de tous ceux qu’il reconnaît pour ses frères, parce que, avec lui,

Ils tètent la Douleur comme une bonne louve.

Quand on arrive enfin à la Sépulture d’un poète maudit, on y trouve, accumulé, un « bestiaire » affreux :

L’araignée y fera ses toiles
Et la vipère ses petits ;