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de Cléandre, de Sphettos ; Mnésithide, fils d’Antiphane, de Phrearrhe ; Démocrate, fils de Sophilos, de Phlyes ; Callaeschros, fils de Diotime, de Cothoce.

[188] Ainsi commença et fut fondée l’union d’Athènes et de Thèbes. Jusque-là, les traîtres avaient poussé sourdement les deux Républiques à la haine, à la défiance : par ce décret, le péril qui enveloppait notre ville se dissipa comme un nuage (109). Un citoyen juste trouvait-il un parti meilleur ? c’est alors qu’il devait le présenter, et non incriminer aujourd’hui. [189] Entre le conseiller et le sycophante, si opposés en tout, il est une différence essentielle : l’un déclare son avis avant l’événement, se livre comptable au temps, à la fortune, à ceux qu’il persuade, au premier venu ; l’autre s’est tu quand il fallait parler : un revers arrive, il pousse le cri de la haine.

[190] C’était donc alors, je le répète, l’heure du zélé citoyen, le moment des sages conseils. Je m’avancerai même jusqu’à dire : Si, aujourd’hui encore, on peut indiquer un parti meilleur que le mien, un autre parti possible, je m’avoue coupable. Oui, que l’on découvre à présent quelque projet d’une utile exécution pour ce temps, je le déclare, je devais l’apercevoir. Mais, s’il n’en est point, s’il n’en fut jamais, si nul ne peut en montrer un seul même en ce jour, que devait faire le conseiller du Peuple ? Entre les mesures praticables qui s’offraient, n’était-ce pas de choisir la meilleure ? [191] Voilà ce que je fis, Eschine, quand le héraut demanda, Qui veut parler ? et non, Qui veut censurer le passé ? qui veut garantir l’avenir ? Dans un pareil moment, au sein de l’assemblée, tu demeuras muet, immobile ; moi, je me levai, je parlai. Que si tu n’as rien dit alors, parle du moins aujourd’hui ; montre quel autre langage je devais trouver, quelle occasion favorable j’ai fait perdre à l’État ? à quelle alliance, à quelle entreprise je devais plutôt engager les Athéniens ?

[192] Mais on abandonne toujours le passé, personne n’en fait le programme d’une délibération ; c’est l’avenir, c’est le présent qui demandent des conseils. Or, des malheurs trop probables nous menaçaient, d’autres fondaient sur nous : examine mon administration durant cette crise, et ne calomnie pas l’événement. L’événement est ce que veut la fortune ; l’intention de celui qui conseille se manifeste par le conseil même (110). [193] Ne m’accuse donc pas de la victoire qu’il fut donné à Philippe de remporter : l’issue du combat dépendait de Dieu, non de moi. Mais, que je n’aie pas pris toutes les mesures de la prudence humaine, que je n’aie pas mis dans l’exécution droiture, zèle, ardeur au-dessus de mes forces ; que mes entreprises n’aient pas été glorieuses, dignes de la République, nécessaires, montre-le-moi, et viens ensuite m’accuser ! [194] Si un coup de foudre plus fort que nous, que tous les Hellènes, a éclaté sur nos têtes, que pouvais-je faire (111) ? Le chef d’un vaisseau a tout fait pour sa sûreté, et muni le bâtiment de tout ce qui lui semblait le garantir ; mais la tempête vient briser, broyer les agrès : accusera-t-on cet homme du naufrage ? Ce n’est pas moi, dirait-il, qui tenais le gouvernail. Eh bien ! ce n’est pas moi qui commandais l’armée ; je n’étais pas maître du sort, le sort est maître de tout.

[195] Raisonne donc, Eschine, et ouvre les yeux ! Si tel a été notre destin, les Thébains combattant avec nous ; que devions-nous attendre, les Thébains n’étant pas nos alliés, mais les auxiliaires de Philippe, intrigue pour laquelle tu épuisas ton éloquence ? Après la bataille, livrée à trois journées de l’Attique, le péril, la consternation furent extrêmes dans nos murs : si donc elle eût été perdue sur notre territoire, quelle attente ! Penses-tu qu’Athènes serait encore debout ? qu’il nous serait permis de nous réunir, permis de respirer ? Mais un jour, mais deux, mais trois, nous ont offert bien des moyens de salut. Sans ce délai… Pourquoi parler de malheurs dont nous a préservés quelque divinité tutélaire, et cette alliance, rempart d’Athènes, objet de tes accusations ?

[196] Ces nombreux détails s’adressent à vous, citoyens qui nous jugez, et à ceux qui, hors de cette enceinte, nous entourent et m’écoutent. Pour cet homme de boue, quelques mots bien clairs suffisaient. Si, lorsque la République délibérait, l’avenir, Eschine, se dévoilait à toi seul, dès lors tu devais le révéler. Si tu ne le prévoyais pas, tu es aussi comptable de l’ignorance générale. Pourquoi donc m’accuser, quand je ne t’accuse pas ? [197] Dans cette circonstance (je ne dis rien encore des autres), je fus meilleur citoyen que toi ; car je me livrai à de salutaires projets, avoués de tous, sans reculer devant aucun péril personnel, sans y songer. Toi, loin de donner un avis plus utile, qui eût écarté le mien, tu ne rendis pas le plus léger service. Ce qu’aurait fait contre sa patrie le persécuteur le plus cruel, on te l’a vu faire après l’événement ; et, tandis qu’Aristrate à Naxos, Aristolaos à Thasos, ces implacables ennemis de notre République, accusent nos amis, dans Athènes aussi Eschine accuse Démosthène ! [198] Mais celui qui tire sa gloire des calamités de la Grèce mérite la mort, et n’a le droit d’accuser personne ; celui qui a trouvé son avantage dans la prospérité de nos ennemis ne sera jamais qu’un traître. Tout l’atteste en toi, ta vie, tes actes, tes discours, jusqu’à ton silence. Un projet avantageux s’exécute ? Eschine est muet, Un revers arrive ? 390 Eschine