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HARANGUE DE DÉMOSTHÈNE SUR LA COURONNE.

l’ignore, et sur-tout parce que, fussent-ils véritables, on devait tenir, envers ces peuples, la conduite que j’ai tenue ; je vais rapporter en peu de mots un ou deux traits à la gloire de la république d’Athènes : car une république, ainsi qu’un particulier, doit régler ses démarches sur les grands exemples qu’elle a devant les yeux.

Vous donc, Athéniens[1], dans un tems où Lacédémone commandait sur terre et sur mer, où ses garnisons occupaient les pays voisins de l’Attique, l’Eubée, toute la Béotie, Tanagre, Mégares, Égine, Cléones, les autres îles d’alentour ; dans un tems où vous n’aviez ni murs ni vaisseaux, vous marchâtes au secours d’Haliarte, et peu de jours après au secours de Corinthe, quoique dans la guerre du Péloponèse vous eussiez eu beaucoup à vous plaindre des Corinthiens et des Thébains. Mais vous n’écoutâtes pas un ressentiment que vous auriez rougi de manifester. Cependant, Eschine, on ne peut dire que dans ces deux circonstances les Athéniens eussent des services à reconnaître, ou qu’ils n’aperçussent pas le péril de leurs démarches : mais, incapables de rejeter des peuples qui recouraient à eux, ils s’exposaient pour l’honneur et pour la gloire avec une résolution aussi sage qu’héroïque. Car ils savaient que la mort est inévitable, avec quelque soin qu’on s’enferme pour échapper à ses coups ; ils savaient qu’un grand cœur doit toujours entreprendre les grandes

  1. La guerre du Péloponèse était finie ; les Lacédémoniens étaient sortis vainqueurs ; maîtres d’Athènes, ils avaient ruiné ses murailles, détruit ses vaisseaux, et y avaient établi.trente tyrans pour la gouverner. Tout-puissans dans la Grèce, ils venaient d’envoyer, contre le roi de Perse, Agésilas, qui le faisait trembler jusque dans son palais. Un commandant d’Artaxerxès, en Asie, trouve moyen de détacher de leur parti, Thèbes, Argos et Corinthe. Les Thébains députent vers les Athéniens pour implorer leur secours, et les faire entrer dans la ligue. Les Athéniens, quoiqu’à peine délivrés de leurs tyrans, malgré leur faiblesse et la puissance de leur rivale, prennent les armes, et marchent d’abord vers Haliarte, ville de Béotie, et ensuite vers Corinthe, auprès desquelles Lacédémone avait des troupes considérables et excellens généraux ; et cela, quoiqu’ils n’eussent pas lieu d’être contens de la conduite qu’avaient tenue à leur égard les Thébains et les Corinthiens dans la guerre du Péloponèse : il y a en grec, dans la guerre Décélique. Décélée était un bourg de l’Attique. Les Lacédémoniens s’en étant rendus maîtres la dix-neuvième année de la guerre du Péloponèse, le fortifièrent ; et, à la faveur de ce poste, ils causèrent de grands dommages aux Athéniens pendant tout le reste de cette guerre. La dernière partie de cette guerre s’appela donc guerre Decélique. Mais le fort de Décélée devint si célèbre, qu’on donnait quelquefois ce nom à la guerre entière du Péloponèse, laquelle guerre du Péloponèse s’était élevée entre Athènes et Lacédémone. La révolte des Corcyréens contre Corinthe en fut l’occasion et le prétexte ; mais la trop grande puissance, et la domination odieuse d’Athènes, en furent la véritable cause. Cette guerre entraîna tous les peuples de la Grèce, dont les uns se déclarèrent pour Athènes, les autres pour Lacédémone. Elle dura vingt-sept ans.Elle était appelée guerre du Péloponèse, parce que les Lacédémoniens, qui en étaient les chefs, étaient habitans d’une partie de la contrée de la Grèce, appelée Péloponèse.