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PRÉLIMINAIRE.

est simple, naturelle, amie surtout de la clarté et de la netteté, ennemie des équivoques et de tout embarras. Facile et dégagée dans sa construction, tout se développe sans peine dans ses périodes, tout y marche avec ordre : douce, forte, précise, harmonieuse, peu hardie, mais sage, vive et animée dans ses tours, elle est des plus propres pour l’éloquence. Les Français ont donc tout ce qu’il faut pour réussir dans le grand art de la parole. Ils

    Grecs auraient pu gagner à notre commerce, comme nous gagnerions infiniment au commerce des écrivains grecs. Voilà pourquoi je désirerais fort, pour le bien des lettres, que leur langue fût plus cultivée parmi nous. Au reste, je pense que Louis XIV est peut-être celui qui a fait le plus de bien aux lettres françaises, parce que, sans dénaturer le génie de la nation, et en lui laissant sa gaîté naturelle, il lui a inspiré un ton de sérieux, de réserve, de décence et de noblesse, qui a répandu dans tous les esprits de son siècle des grâces austères et une politesse pleine de dignité. Je suis persuadé, au contraire (je le dirai avec cette franchise dont je me piquai toujours en écrivant), que Voltaire, esprit rare, aimable et superficiel, sans être dépourvu de connaissances et de philosophie, a fait le plus grand tort à notre littérature. Au lieu de rectifier le génie frivole, badin et folâtre de la nation, il l’a renforcé ; il lui a appris à se moquer et à rire de tout, de l’érudition et de la science, de la religion et de la vertu. Oui, je soutiens qu’il a fait un très-grand tort aux mœurs et aux lettres, et un tort d’autant plus grand qu’il avait des talens plus distingués, et qu’en reconnaissant ses vices et ses défauts, on doit convenir que c’est un des hommes les plus extraordinaires qui aient paru dans l’Europe.